Le président de l’Union Algérienne des Sociétés d’Assurance et de Réassurance (UAR), Youcef Benmicia, évoque, dans cet entretien qu’il a bien voulu accordé au magazine Indjazat, les actions menées par son organisation durant ces derniers mois, bien que la crise sanitaire, qui prévaut depuis deux années , ait fortement perturbé la mise en œuvre du plan d’action arrêté par l’UAR. La prise en charge par les pouvoirs publics de ses propositions, relatives à la réforme du secteur des assurances, constitue toutefois un acquis non négligeable et une réalisation importante ayant marqué l’activité de l’Union durant l’année écoulée.
Entretien réalisé par Lyes Mechti
Vous êtes à la tête de l’UAR depuis un peu plus d’une année et demie. Quel bilan faites-vous du travail fait par l’Union durant toute cette période ?
Effectivement, j’ai été élu en juin 2020 à la tête de l’UAR, en remplacement de l’ex président de l’UAR qui a été désigné au poste de Secrétaire général du ministère des Finances. Le plan d’action qu’on s’était fixé à l’UAR a été totalement perturbé du fait de la situation sanitaire liée à la pandémie de la Covi-19. Plusieurs actions qui avaient connu un début de réalisation ont été différées. Malgré cela, nous avons quand même pu concrétiser, en 2020, quelques importantes actions, profitant de la situation pour en tirer les conséquences, notamment en ce qui concerne la manière de travailler et d’organiser notre fonctionnement. Nous avons mis en place les moyens nécessaires pour que les structures de l’Union continuent à travailler, mais à distance, c’est-à-dire en télé travail. Nous avons ainsi continué le travail de l’amélioration de la qualité de service au profit des assurés, notamment pour ce qui est de l’assainissement des dossiers sinistres entre Compagnies, avec comme objectif une célérité dans les indemnisations. Le secteur à quand même consolidé, durant cette période, le processus de transformation numérique et nous avons participé, par ailleurs, à plusieurs campagnes de prévention et de sensibilisation contre les accidents de la circulation, organisées par la Gendarmerie nationale. Nous avons soumis plusieurs mesures, dont certaines ont été prises en considération, pour atténuer les effets de la pandémie sur le secteur des assurances. Des propositions ont été également formulées pour la révision des textes réglementaires régissant l’activité des assurances, améliorer l’activité et lever quelques difficultés auxquelles sont toujours confrontées les sociétés d’assurance. Nous avons aussi réalisé des actions qui n’étaient même pas prévues, comme le sponsoring et le mécénat entrant dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la Covi-19. Beaucoup de travaux techniques ont été également réalisés avec des sociétés et des acteurs du marché durant toute l’année 2020. Je dois rappeler que durant cette année, il y a eu la taxe sur les véhicules introduite dans la loi de Finances de 2020. Le secteur a, bien entendu, appliqué cette taxe qui n’était pas à l’avantage des sociétés d’assurance. C’est pourquoi nous avons proposé aux pouvoirs publics pour que la loi de Finances complémentaire de 2020 et la loi de Finances de 2021 apportent des changements en matière de collecte de cette taxe, en chargeant un autre organisme, autre que les société d’assurance, de la collecter. Nous avons mis en place, par ailleurs, des cellules de veille de suivi de la pandémie et les compagnies d’assurance élaboraient régulièrement des points de situation. Plusieurs dons ont été aussi offerts par l’UAR au profit de structures sanitaires.
Le secteur des assurances s’est remis, courant 2021, des effets négatifs de la pandémie en enregistrant une croissance appréciable de son chiffre d’affaires. Quels enseignements tirez-vous de cette crise sanitaire et de son impact sur les sociétés d’assurance ?
L’année 2020 est la première année où le secteur des assurances enregistre des résultats négatifs en termes de chiffre d’affaires. Cela est lié à la situation sanitaire. Dans le monde des assurances, 2020 est l’une des années où il n’y a pas eu de croissance. En Algérie, le secteur a enregistré une régression de 5%. Dans le détail, on s’aperçoit que c’est l’assurance automobile qui a subi la baisse la plus importante et qui est à l’origine de la baisse globale du chiffre d’affaires du secteur. La branche automobile a connu, en 2020, une baisse de 9%, sachant qu’elle représente près de 50% de l’activité du secteur. Cela est dû à la conjoncture économique générale du pays, mais aussi au fait de la suspension de l’importation des véhicules neufs.
Cela nous a amenés à apprendre à travailler autrement, en accordant de l’importance à la mise en place de plans assurant la continuité de l’activité pour pouvoir travailler sans mettre en danger les clients et le personnel des compagnies d’assurances, en accordant aussi l’importance qu’il faut à l’accélération du processus de leur numérisation et digitalisation. Cela a permis aussi aux entreprises d’accorder de l’importance à la qualité de prestation en intégrant le travail en ligne avec la clientèle. Pour 2021, les chiffres dont nous disposons montrent qu’il y a eu une reprise et une amélioration ayant permis de retrouver le niveau de 2019, avec une croissance de 4%.
Celle-ci ne touche pas toutes les branches d’assurance, puisque l’assurance automobile continuera malheureusement à régresser.Le parc automobile n’est toujours pas renouvelé et il y a une concurrence qui tarde à se stabiliser, malgré les mécanismes mis en place pour apporter une certaine stabilité dans cette branche.
Justement, l’UAR a rendu public, en octobre dernier, un communiqué dans lequel elle a rappelé les dispositions de l’accord multilatéral signé par les compagnies d’assurances, limitant les réductions à 50% sur les tarifs de la branche automobile. Pourquoi ce rappel alors que l’accord est entré en vigueur depuis janvier 2021.
Lorsqu’on met en place un nouveau mécanisme, avec toute la bonne volonté des acteurs, son application dans les faits met du temps. Même si certaine compagnies ont commencé à appliquer les dispositions de cet accord, d’autres ne l’ont pas appliqué strictement. Une telle situation s’explique en partie par le fait que l’application de cet accord nécessite au préalable une prise de dispositions sur le plan des systèmes d’information des sociétés. Nous savions qu’il allait y avoir au départ des difficultés à l’appliquer du fait des interprétations différentes et que certains n’allaient pas le respecter scrupuleusement. D’où ce rappel. L’autre objectif de la publication de ce communiqué était de communiquer avec les assurés pour qu’ils ne soient pas surpris au renouvèlement de leurs contrats d’assurance.
Certains acteurs de l’écosystème des assurances réclament une réforme profonde du marché financier. Qu’en pense l’UAR ?
En fait, c’est l’UAR elle-même qui réclame cette réforme. Nous avons formulé des propositions de réforme du secteur avec une révision des textes qui encadrent l’activité des assurances en Algérie. Ces propositions ont été prises en considération dans le cadre de la prochaine révision de l’ordonnance 95-07 relative à l’activité du secteur. La proposition phare concerne la supervision et le contrôle de l’activité des assurances. Telle qu’elle s’exerce actuellement, la supervision relève de l’autorité du ministère des Finances. L’UAR a proposé que cette autorité soit indépendante, comme cela se fait de par le monde.
Quels seraient les mécanismes à mettre en place pour promouvoir l’assurance de personnes et celle contre les catastrophes naturelles, jusque-là pas trop prisées par les Algériens ?
L’assurance de personnes, ou l’assurance vie, représente au niveau mondial, presque la moitié du volume d’activité du secteur des assurances. Chez nous, nous sommes loin de cette moyenne, puisqu’elle représente à peine 10%. Chez les pays voisins et arabes, cette assurance enregistre une moyenne entre 20 et 30%. Quant à l’assurance contre les catastrophes naturelles, cela fait maintenant presque 20 ans, en 2003 précisément après le séisme de Boumerdes, qu’elle a été mise en place et rendue obligatoirep our les particuliers et les entreprises propriétaires d’un bien immobilier. Les ambitions qui ont été fixées au départ n’ont pas été atteintes.
A peine 12% du parc immobilier est assuré. Les raisons sont connues et sont presque les mêmes qu’on retrouve dans l’assurance des personnes. Elles sont d’une part d’ordre économique, c’est-à-dire liées au budget des ménages.L’autre raison a trait à l’effort de sensibilisation et de communication, de la part des assureurs, qui n’est pas suffisant. L’intérêt et l’importance à accorder à l’assurance ne peut s’ancrer dans la société que lorsqu’il y a des actions inculquant aux gens une certaine éducation financière. C’est sûr, il y a actuellement une insuffisance dans le travail de communication et de sensibilisation de la part des acteurs du marché. Les médias devraient, eux aussi, contribuer à ce travail de sensibilisation, d’éducation et d’explication à l’adresse des citoyens. Il y a aussi le facteur en rapport avec les traditions et la religion,qui a son influence. Mais, selon les statistiques que nous disposons et les études qui ont été effectuées, ce facteur n’est pas aussi important et aussi prépondérant dans la prise de décision, que ce soit pour l’assurance des personnes ou la CAT-NAT. A ce titre, l’UAR, le Conseil National des Assurances (CNA) et le Ministère des Finances, sont entrain de préparer le lancement d’une compagne de communication et de sensibilisation sur le rôle et l’importance de l’assurance d’une façon générale et en particulier sur l’assurance CAT-NAT et Takaful.
En dernier, comment faites-vous pour concilier entre votre mission de président de l’UAR et celle de PDG de la CAAT ?
Je consacre le temps qu’il faut aussi bien pour le management de la Compagnie que je dirige, avec l’assistance de mes collaborateurs, que pour l’UAR. Certes, il faut trouver ce temps, mais j’utilise beaucoup les technologies de la communication et les moyens modernes qui m’aident à assurer mes fonctions, prendre des décisions, communiquer et être toujours informé. Sincèrement, cela prend beaucoup de mon temps personnel, mais les outils technologiques dont nous disposons aujourd’hui nous facilitent beaucoup la tâche, puisque même en étant chez soi on peut quand même continuer à travailler, réagir et prendre des décisions, se documenter ou faire des recherches.
L. M.