La production aurifère algérienne demeure modeste car peu d’investissements y ont été consentis. Néanmoins, cela est appelé à changer si l’on se réfère aux explications du PDG de l’Entreprise d’exploitation des mines d’or (Enor), Trad Khodja Khemissi, qui affirme que des projets de mise à niveau des installations industrielles sont en cours de réalisation, ce qui boostera certainement l’activité aurifère dans le pays. Selon lui, malgré les contraintes auxquelles l’entreprise fait face, l’ENOR est en mesure de relever le défi de dynamiser cette activité, surtout si l’exploitation des ressources passe au mode souterrain, tout en procédant au renouvellement des équipements vétustes.
Interview réalisée par Lynda Mellak
L’Entreprise d’exploitation des mines d’or demeure à ce jour la principale société investie dans la production aurifère en Algérie. Pourriez-vous nous présenter succinctement votre compagnie ?
L’Entreprise d’Exploitation des Mines d’Or « ENOR Spa » est une EPE crée en avril 1992 pour une durée de 99 ans. Sa mission principale est l’étude, le développement et l’exploitation des gisements aurifères, notamment de Tirek et Amesmessa, situés dans le Hoggar à 400-450 km au sud-ouest de la ville de Tamanrasset, dans le territoire de la commune de Tin Zaouatine (actuellement Wilaya d’In Guezzam). Le projet de d’exploitation à ciel ouvert de la Mine de Tirek a été entamé en 1998. Le 1er lingot algérien a été produit par l’ENOR en juin 2001, avec l’assistance technique de l’entreprise sud-africaine MDM (Metallurgical Design and Management), chez laquelle ENOR a procuré l’usine de traitement. En 2003, il a été procédé à l’ouverture du capital social de l’ENOR pour les opérateurs étrangers, avec la réalisation d’un accord de partenariat entre SONATRACH (48%) et la société australienne GMA (52%). En 2005, une étude de faisabilité banquable a été réalisée pour l’exploitation à ciel ouvert des filons principaux des gisements de Tirek et d’Amesmessa. Une année après, l’exploitation du gisement de Tirek a cessé, dans le cadre du projet initial. En 2007, un projet de développement et d’exploitation à ciel ouvert du gisement d’Amesmessa a été lancé et est entré en production une année après. En 2011, le projet d’exploitation à ciel ouvert de la Mine de Amesmessa a échoué engendrant la sortie de GMA du capital de l’ENOR. Durant les deux années suivantes, toutes les tentatives de partenariat avec des opérateurs étrangers ont été infructueuses. En 2014, la totalité des actions de l’ENOR détenues par SONATRACH a été cédée au groupe MANAL. L’ENOR devient alors une filiale de ce groupe. Durant les deux dernières années, il a été procédé au lancement du projet de comptoirs de l’or, pour le traitement du minerai de l’or extrait dans le cadre de l’exploitation minière artisanale de l’or dans les wilayas du Sud. En 2021, 10 536,38 tonnes de minerai à 8,22 g/t ont été reçus, concassés et analysés, dont une quantité d’or à récupérer (à un taux de 80%) estimée à environ 70 kg d’or fin a été achetée auprès des micro-entreprises à la somme 670 millions de dinars. Durant 21 ans, ENOR a produit 6,8 tonnes d’or de la concession Tirek-Amesmess.
Le ministère de l’Energie et des mines a pris option en faveur de l’exploitation artisanale des mines d’or. Quelles sont les actions que votre entreprise a mis en place afin de contribuer au succès de cette opération ?
L’ENOR a procédé à la mise en place d’une organisation au niveau des deux comptoirs qui reportent quotidiennement le flux d’information sur support papier et numérique pour gérer l’opération de bout, en bout en dédiant à chaque structure une mission qui lui incombe, depuis le pesage, l’échantillonnage, les analyses, les bons de commande d’achat et de traitement, l’élaboration des demandes de paiement, jusqu’au paiement des micros entreprises après vérification d’usage du dossier et du taux de change du dollar par rapport au dinar à l’achat et au prix de l’once à la bourse de Londres, le jour qui suit la date de livraison. L’entreprise a ainsi mis en service deux comptoirs de l’or, à Amesmessa (Wilaya d’In Guezzam) moyennant l’acquisition, la pose et la mise en service du pont bascule, en sus des installations déjà existantes depuis le 5 juin 2021. Ce comptoir dispose de tous les équipements nécessaires depuis la réception du minerai, jusqu’à la transformation en produit fini (Lingot d’or), en plus d’une base de vie. Quant à In Yeflahlah, son comptoir est opérationnel depuis le 8 octobre2021 et se limite, pour le moment, au concassage du minerai fourni par les micro-entreprises. Il se compose d’une base de vie pour une prise en charge d’une cinquantaine de personnes, d’une section pour la réception et le pesage du minerai fourni par les micro-Entreprises, d’une Installation de concassage et d’un Laboratoire d’analyses chimiques. Il est prévu l’acquisition de deux unités modulaires de traitement destinés respectivement pour le comptoir d’In Yeflahlah et de Tindouf (en projet), et ce, en vue de transformer le minerai aurifère en lingots d’or. Il faut savoir aussi que l’entreprise a négocié et signé, jusqu’au 31 décembre 2021, des contrats commerciaux avec 121 micro-entreprises. Elle a également procédé à la réhabilitation graduelle et la mise à niveau des installations de traitement fixes qui étaient dans un état très vétuste, dû au non-renouvellement des équipements, tout en procédant à l’acquisition en consommables des produits chimiques et autres.
Quel bilan faites-vous de ces actions et des contrats commerciaux conclus avec les micro-entreprises chargées de l’exploitation artisanale des mines d’or ?
Sur 224 périmètres miniers, 121 micros entreprises ont signé les conventions commerciales et seul 61 ont livré le produit, cumulant un total de 10 843 Tonnes reçues, soit l’équivalent de 611 livraisons dont 10 595 Tonnes au profit du comptoir d’Amessmassa (l’équivalent de 592 livraisons) et 247 Tonnes au profit du comptoir d’In Yeflahalah (l’équivalent de 19 Livraisons). La production d’or métal dans le minerai a atteint 88, 9 Kg pour les deux comptoirs, depuis leur démarrage jusqu’au 31 décembre dernier, avec une teneur moyenne pondéré pour le comptoir d’Amessmassa de 8,19g/T et de 8,54 g/T pour le comptoir d’In Yeflahalah
Dans son plan de développement, l’ENOR a arrêté plusieurs actions destinées à élever les niveaux de traitement du minerai aurifère. Pouvez-vous nous en parler dans les détails ?
L’ENOR prévoit élever le niveau de traitement actuel de 8T/H au niveau de la Mine d’Amesmessa à 24T/H, par une série d’actions majeures, à savoir l’acquisition d’une nouvelle coque pour l’ancien broyeur de 8T/H, avec ses accessoires. Un contrat de « Fourniture et montage d’un corps du broyeur à boulet à la mine d’Amesmessa » a été ainsi signé le 10/12/2020 avec PROMECH de Annaba, une unité de l’entreprise ENCC, filiale du groupe IMETAL. L’entreprise compte aussi réaliser un complément d’usine de traitement, la réhabilitation des installations de traitement existantes (Cuves, épaississeur…), le renouvellement partiel de la conduite d’alimentation d’eau couplée à l’opération d’’extension des capacités de stockage d’eau, tout en assurant la fourniture de l’énergie et de l’air comprimé.
Quelles sont les perspectives de production pour l’année 2022, comparativement à l’année 2021, sachant que la production cumulée depuis le lancement de l’extraction minière jusqu’à l’année passée a atteint 6,8 Tonnes ?
L’ENOR a planifié de produire 123,9 kg d’or pour l’année 2022, contre une réalisation de 41 kg durant l’année dernière. Le comptoir d’In Yeflahalah entrera en production avec 5Kg d’or à compter du mois de Juillet 2022. Le niveau de production a connu une régression régulière et cela est dû à la vétusté des équipements qui n’ont pas connu des opérations de réhabilitation ou de remplacement de grande envergure, conjuguée aux problèmes d’approvisionnement en minerai sans hypothéquer l’avenir des filons économiquement rentables. Pour l’année en cours, nous sommes en situation d’aisance en matière de disponibilité du minerai concassé, soit l’équivalent de 6456 Tonnes en instance de traitement, auxquelles il faut rajouter les livraisons des micros entreprises qui sont estimé à 26 000 Tonnes au profit d’Amessmassa, contre 6 000 Tonnes pour le comptoir d’In Yeflahlah, sans compter le minerai en provenance du saisi, puisque nous avons signé une convention avec l’AGEFAL pour le transport de ces quantités qui peuvent atteindre les 3 000 Tonnes, durant l’année en cours, en plus du minerai extrait à partir de la carrière, soit 8 100 Tonnes. La contrainte principale réside dans les capacités de traitement qui sont limitées par les capacités propres auxquelles se rajoute l’indisponibilité des équipements due à leur vétusté.
Que préconisez-vous pour développer davantage cette activité ?
Pour la Mine d’Amesmessa, nous travaillons déjà sur l’amélioration et la mise à niveau des infrastructures qui constituent un élément clé de facteur d’amélioration de premier ordre qui affecte positivement l’outil de production, à savoir la production de l’énergie, nécessaire pour la marche de l’usine et la base de vie, sachant que dans peu de temps nous allons recevoir six groupes électrogènes neufs. Nous avons également assuré l’alimentation en eau, indispensable pour le traitement du minerai aurifère et pour la base de vie. La Mine d’Amesmessa est alimentée en eau à partir du bassin de Tanezrouft qui se trouve à 100 km au nord-ouest. L’entreprise a par ailleurs assuré l’entretien de la piste de plus de 50 km qui relie Tirek à Amesmessa, tout en améliorant les conditions d’hébergement pour les travailleurs par la mise à niveau de la base de vie d’Amesmessa.
A combien estimez-vous les réserves algériennes en or et quel serait le mode d’exploitation approprié de ces mines ?
Les ressources géologiques de l’or dans le périmètre du permis minier d’exploitation Tirek – Amesmessa de l’ENOR (140 300 ha) sont arrêtées au 31 décembre 2021 comme le montre le tableau qui suit :
Nous ne disposons pas des ressources aurifères officielles en dehors du périmètre de notre permis minier d’exploitation, mais nous savons que la plus grande majorité des sites aurifère est concentrée dans le Hoggar (voir carte de la répartition géographique des minéralisations aurifères en Algérie, ci-dessous), dont le potentiel aurifère est estiméà plus de 150 tonnes d’or. Il faut distinguer entre les ressources géologues qui sont calculées suite à l’évaluation géologique des gisements (compagnes de forage détaillé et calcul des ressources) et les réserves minières qui sont déterminées sur la base d’une étude technico-économique de l’exploitation du gisement. La réserve minière représente la partie économiquement exploitable de la ressource géologique dans les conditions du moment de la réalisation de l’étude technico-économique, ou de faisabilité. La majorité des sites aurifères connus en Algérie, jusqu’à maintenant, sont du type filonien (corps de faible puissance, 0.20 à 1.5 m en moyenne). Les gisements de ce type peuvent être exploités en mode de carrière à ciel ouvert jusqu’à la profondeur de 20 m, ou 40 m au maximum, puis au mode souterrain. En général, c’est l’étude de faisabilité qui détermine exactement le mode d’exploitation approprié pour chaque site. Les indices de minéralisation, qui ne peuvent pas être développés en gisements, à cause de leurs faibles ressources peuvent faire l’objet d’exploitation semi-industrielle. Les filons isolés ou de très faibles ressources géologiques ne peuvent faire l’objet que de l’exploitation minière artisanale à faible coût.
Avez-vous abandonné totalement l’option d’une exploitation industrielle des mines d’or en partenariat avec des groupes étrangers ?
Non, puisque l’exploitation industrielle des gisements d’or est la mission principale de l’ENOR. Nous prévoyons toujours faire une exploitation souterraine pour les filons potentiels des gisements Tirek et Amesmessa, dans le cadre d’un partenariat avec un opérateur minier étranger qui détient les capacités technologiques requises et les ressources financières nécessaires à la réalisation de ce type de projet. Un projet d’un « Appel d’offre pour manifestation d’intérêt, portant développement et exploitation des gisements d’or de Tirek et Amesmessa (wilaya de In Guezzam) » est en cours de préparation par le groupe MANAL.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles fait face l’ENOR ?
Les principales difficultés auxquelles l’entreprise fait face se rapportent essentiellement à l’amenuisement des ressources géologiques exploitables proches de la surface, à cause de l’intensité de l’exploitation minière en surface depuis 2001, d’où la nécessité de passage au mode souterrain de l’exploitation. En sus de la situation géographique très éloignée et de l’accès difficile (piste désertique) des gisements, par rapport aux lieux d’approvisionnement en eau, en fourniture, en produits et équipement et pour le déplacement du personnel, l’entreprise est confrontée au problème de la vétusté avancée des équipements fixes ou mobiles de la production. Aussi, la majorité des équipements, pièces de rechanges et certains produits chimiques ne sont pas disponibles sur le marché local, d’où une certaine difficulté (lenteur) dans leur acquisition. Signalons enfin le manque de personnel hautement qualifié pour certaines branches de l’activité et la lourde dette passive qui freine le développement de l’entreprise.
L. M.