Le PDG de la Société algérienne d’assurances (SAA), Sais Nacer, évoque dans cet entretien, qui suit, les résultats réalisés par sa compagnie, courant 2021, et décrit les réalisations de l’entreprise qu’il dirige, notamment en matière de digitalisation et d’extension du réseau de distribution. Pour lui, le secteur des assurances en Algérie a grandement besoin de réformes et de nouvelles ressources pour prendre son envol et réaliser la croissance tant attendue et par les pouvoirs et par les acteurs qui l’animent. Pour réaliser un tel objectif et permettre au secteur national des assurances de jouer pleinement son rôle dans le développement économique du pays, Sais Nacer propose une panoplie de mesures aussi importantes que nécessaires les unes que les autres. Suivez-le…
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
La SAA s’est fixée comme axe principal de développement la mise en place d’une stratégie axée sur la diversification prudente et sélective du portefeuille d’affaires. Quels sont, aujourd’hui, les résultats de cette stratégie ?
Les premiers résultats indiquent une augmentation de 8% des émissions directes de l’entreprise en cinq ans, avec une clôture prévue de près de 29 milliards DA pour 2021. C’est aussi une stabilisation de ses résultats aux alentours des 2.7 milliards DA sur la même période, soit un retour sur capital de 9 %. La croissance des émissions de la branche des risques industriels de l’ordre de 60%, a permis une nette atténuation de la dépendance historique de la SAA à la branche automobile, et une amélioration sensible de la configuration du portefeuille et de sa diversification .
La digitalisation constitue un axe majeur dans le développement et la modernisation de la SAA. Peut-on savoir quels sont les services que vous avez digitalisés en priorité ?
Effectivement, notre compagnie a inscrit la digitalisation au cœur de sa stratégie. La raison est que cette digitalisation s’impose à toutes les entités dont le souci est d’améliorer ses prestations et de se doter d’atouts pour améliorer sa compétitivité, dans un marché très ouvert et concurrentiel. Quant à la démarche retenue en matière de digitalisation, la SAA a établi des priorités et a mis en œuvre nombre d’actions notamment ces trois dernières années, ayant porté sur le volet service après-vente et les prestations rendues aux assurés. Les plateformes de gestion des sinistres, l’expertise à distance et la numérisation de l’envoi des documents sont autant d’améliorations du processus de gestion sinistres. En termes de multiplication de points de contact avec les assurés, la SAA vient de lancer la vente en ligne de produits d’assurance s’adressant aux particuliers, à savoir la multirisque habitation et les assurances Catastrophes naturelles. D’autres actions de modernisation ont été amorcées concernant l’ensemble des maillons de la chaine de valeur de la société : la gestion numérique des réclamations, les recours automobile inter-agences SAA, et plus récemment trois autres opérations structurantes, qui préfigurent de ce que nous voulons développer autour d’une vision client à 360°, à savoir : Le rappel d’avis d’échéance à travers un SMS envoyé aux clients de la compagnie dans le but de les alerter de l’échéance de leurs contrats d’assurance ; la dématérialisation du processus de gestion « bris de glace » en tiers payant, avec notre filiale IPA, ce qui nous a permis un gain de temps non négligeable pour le client.
Peut-on avoir un aperçu chiffré du bilan de l’exercice 2021 ?
La prévision à fin novembre 2021 est de l’ordre de 26.8 milliards DA, soit une croissance de 10%, comparativement à la même période de 2020, avec un apport positif supplémentaire en Risques industriels. Nous finissons l’année avec un niveau d’émissions de primes supérieur à 2020. Cependant, la branche automobile peine à maintenir ces réalisations, du fait de la stagnation voire du recul de la matière assurable et surtout de la concurrence sur les tarifs, en dépit de l’entrée en vigueur du protocole tarifaire prévoyant le plafonnement à 50%. Il est à noter que 2021 aura été marqué par une conjoncture toute aussi difficile que les deux années précédentes, étant donné que la pandémie Covid continue de frapper et d’impacter l’ensemble des segments de l’économie.
L’opération de modernisation de la SAA commence à porter ses fruits avec entre autres, le lancement de quelques services en ligne. Globalement comment évaluez-vous cette opération ?
Les retours des premiers mois sont prometteurs pour notre société et nous rassurent quant à l’avenir. Le site web étant appelé à devenir, à moyen terme, un point de contact incontournable de la relation client, et nous projetons justement d’en faire une véritable agence dématérialisée, avec une panoplie de services qui y seront mis en ligne progressivement pour répondre aux attentes d’une nouvelle catégorie de clientèle plus jeune et moins sensible aux stimuli marketings traditionnels.
La SAA lancera bientôt des produits d’assurance islamique baptisés « Takaful ». De quoi s’agit-il au juste ?
En réalité, ce ne sont pas des produits, mais plutôt une autre façon de faire de l’assurance. Un projet de création d’une nouvelle société spécialisée en assurance «Takaful» est en cours de mise en œuvre. Ce projet auquel se sont joints l’ensemble des sociétés d’assurance et des banques publiques.
Cette façon de faire permettra le développement de synergies entres les assureurs et les banquiers et évitera l’éparpillement des énergies, s’agissant d’un segment d’activité nouveau. Les assemblées générales constitutives des deux sociétés Dommage et familly, ont été tenues la fin de l’année passée. Les sociétés seront, en principe, opérationnelles vers la fin du premier trimestre 2022.
Peut-on avoir une estimation de la demande sur les produits d’assurance Takaful dans notre pays ?
En dépit de l’absence des données fiables sur le potentiel du marché et sur la nature des produits susceptibles d’intéresser les consommateurs d’assurance Takaful en Algérie, la quasi-totalité des déclarations et des publications sur le sujet sont unanimes sur le fait que ce marché est prometteur. A titre indicatif, si on prend comme référence le marché bancaire algérien, le poids de l’encours des produits financiers islamiques par rapport à l’ensemble de l’encours des financements bancaires est estimé à 03% en 2017 (260 milliards de DA sur les 9 000 milliards de DA), d’où un marché déjà demandeur de produits d’assurance conformes à la charia. Sans oublier le marché du leasing estimé à 60 Milliards de DA, considéré naturellement comme client potentiel pour l’assurance takaful. Sur le plan du benchmark, le marché tunisien pourra nous servir d’exemple. Le niveau des primes émises procurées par les 03 sociétés Takaful de ce marché, avoisine 4,7% du chiffre d’affaires global généré par le marché des assurances tunisien en 2019.
Quels produits comptez-vous proposer en premier ?
Nous visons, en premier lieu, à répondre aux besoins exprimés par les banques et les établissements financiers, afin de faire accompagner leurs produits bancaires, dits islamiques, par des garanties/couvertures d’assurance de même nature. Ajoutons à cela, je dirais qu’il y a nécessité d’anticiper sur les cas de migration de clientèle vers le modèle Takaful une fois disponible. De même qu’un travail de communication envers de nouveaux clients convaincus par l’assurance Takaful, qui se contentent souvent de la souscription de certaines assurances par obligation uniquement, dans le marché conventionnel en l’absence d’alternative Takaful.
L’assurance contre les effets des Catastrophes Naturelles (Cat-Nat) demeure toujours boudée par les Algériens. Que faudrait-il faire selon vous pour booster cette branche ?
En Algérie, on a longtemps cru qu’on était à l’abri des catastrophes naturelles, mais on en a malheureusement vu à répétition : séismes, inondations, glissements de terrain…
On doit absolument prendre conscience que cela est de nature à devenir récurrent en raison du réchauffement que notre planète connait et connaitra. La culture d’assurance non encore suffisamment répandue au sein de la société et le manque de moyens de contrôle de l’obligation (effectif seulement au moment des transactions immobilières et publication des états financiers), sont les principaux écueils à l’élargissement de l’étendue de l’assurance Cat-Nat. L’intervention de l’Etat pour indemniser à chaque fois qu’il y a un évènement naturel, fait que le citoyen est enclin à considérer inutile la souscription des assurances couvrant ces évènements. Pour revenir à votre question, nous dirons que toutes les parties prenantes doivent faire l’effort de nature à booster ce type d’assurance, car il y va de l’intérêt du citoyen, de l’Etat et des compagnies d’assurance, auxquelles revient la tâche de communiquer intensément, mais surtout de simplifier les procédures de souscription et d’indemnisation.
Les pouvoirs publics ne sont pas satisfaits du taux de pénétration du secteur des assurances et appellent à plus d’effort pour densifier le réseau des assurances et se rapprocher plus des clients. Que fait la SAA sur ce plan ?
L’extension de notre réseau de distribution est l’un des leviers sur lesquels nous tablons pour augmenter notre niveau d’activité et nos ventes, à travers un meilleur maillage du territoire national. Notre société a multiplié ces dernières années les ouvertures de nouveaux points de vente pour accompagner les mouvements de populations effectués à la faveur de la réalisation de nouveaux centres urbains sous différentes formules (AADL, LPP, et autres). Néanmoins, l’ouverture de points de contact physiques ne nous déviera pas de notre ferme volonté d’opter de multiplier les canaux de distribution, par une utilisation plus accrue des réseaux sociaux, de la bancassurance et des guichets postaux lorsque cela sera possible, pour se rapprocher du consommateur et lui offrir un service de proximité. A fin 2021 le réseau de la SAA est constitué de 700 points de vente dont : 303 Agences directes dont 7 nouvelles, 228 Agents généraux dont 12 nouvelles, 42 Antennes agences directes dont 11 nouvelles, 17 Antennes AGA dont 1 nouvelle, 202 Agences bancaires.
En tant qu’acteur majeur du monde des assurances, que préconisez-vous comme mesures afin de permettre au secteur des assurances de jouer son rôle en contribuant au développement de l’économie nationale ?
De notre point de vue, les mesures de nature à permettre à notre profession de sortir du marasme qu’elle connait aujourd’hui et de jouer pleinement son rôle économique et social, peuvent se résumer dans le renforcement de la gouvernance par l’introduction, au niveau des conseils d’administration, des administrateurs indépendants choisis en fonction de leur expertise. Il faudrait aussi œuvrer à l’ouverture du capital de certaines sociétés publiques par leur introduction en bourse, à l’accélération du processus visant à réformer la supervision, à la fois par la création d’une agence indépendante de contrôle et par la révision des règles prudentielles, en introduisant des critères qualitatifs liés à la qualité de la gouvernance, au système d’information et à la nature des risques gérés.
Cette action salutaire permettrait de venir à bout des pratiques concurrentielles actuelles basées sur le tarif. Il est nécessaire également de réorganiser le secteur public marchand des assurances, par la création d’une Holding assurance avec retour à la spécialisation historique des sociétés. A court terme, et dans la situation actuelle du marché, la construction d’un plan de redressement solide est une nécessité urgente. Ce plan suppose six pré requis indispensables, à savoir regagner la confiance des assurés ménages et professionnels au moyen d’une opération spectaculaire de liquidation des sinistres automobiles inter-compagnies, faire réaliser par des actuaires indépendants une étude actuarielle complète des provisions techniques de la branche automobile, afin de s’assurer de la transparence totale des comptes techniques, mais aussi analyser techniquement l’ensemble des tarifs des branches dommages destinés à la couverture des risques des ménages et des professionnels, afin de les rapprocher le mieux possible de la demande solvable et les faire approuver collectivement par le contrôle des assurances. Il faudrait, par ailleurs, ramener le marché à des règles de concurrence loyales, à commencer par le respect total des termes du protocole automobile signé par les acteurs eux même. Ce retour à la normale gagnerait à être conduit sur la base d’une instruction contraignante de la supervision. De manière générale, et en termes de sources de croissance pour notre marché, celles-ci sont à trouver dans l’émergence des potentiels de l’assurance vie, sous sa forme capitalisation et prévoyance, conventionnelle et islamique, pour fournir à nos concitoyens des retraites complémentaires au système public dont l’équilibre et la pérennité sont fragiles.
Ces sources de croissance se trouvent également dans le développement de l’assurance santé individuelle pour compléter le mécanisme de couverture de l’assurance maladie dont les capacités de financement de la demande de soins sont sans rapport avec la réalité. Enfin, il est nécessaire de procéder à une rénovation totale de l’assurance des particuliers et des professionnels, aussi bien au niveau technique que commercial, supporté par une gestion de l’assurance automobile transparente et respectueuse des assurés. Cet ensemble de mesures consolidées dans un plan de cinq ans, devra mettre à profit le potentiel de la digitalisation au travers de l’automatisation des processus générateur de valeur ajoutée et de productivité.
H. N. A.