Le secteur des assurances en Algérie n’est pas en reste des réformes profondes nouvellement opérées, par les pouvoirs publics, dans l’économie nationale.
Bien plus, les assureurs se doivent, aujourd’hui, de s’adapter à la réalité du marché national, à savoir répondre à la demande d’assurance en évolution, voire susciter le besoin chez le client pour pénétrer davantage un marché vierge qui, potentiellement extraordinaire, reste à explorer.
Les assureurs algériens doivent aussi mettre leurs compétences à l’épreuve des expériences réussies dans d’autres pays. Dans la foulée, et rencontré en marge de la 33e conférence du GAIF (Union générale arabe des assurances), qui a eu lieu du 5 au 8 juin écoulé à Oran, le PDG de la Société nationale d’assurance, Nacer Saïs, s’en est livré à Indjazat.
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
Vous avez pris part à la 33e conférence du GAIF. On voudrait bien savoir quel est le retour sur investissement auquel vous vous attendiez en matière d’expertise et d’échanges dans le domaine des assurances …
Il faut savoir que le retour sur investissement après ce type de rendez-vous, ne peut se produire qu’à moyen terme. Avec la mise en œuvre graduelle des recommandations issues des trois jours de travaux, cette conférence aura certainement un impact positif sur notre marché. Il faut savoir que c’est un évènement dont la dernière édition organisée dans notre pays remonte à 1978. Après deux reports, nous avons, cette fois-ci, pu l’organiser grâce à la nette amélioration de la situation sanitaire.
C’est une aubaine pour échanger des expériences et des informations sur la situation de l’assurance à travers le monde, de consolider les partenariats existants ou d’en nouer de nouveaux, à travers les rencontres B2B. La thématique sous laquelle est placée la conférence, permet de prendre connaissance des réels défis auxquels sont confrontés les marchés de l’assurance, mais aussi des opportunités qui s’y offrent en rapport avec le contexte tout à fait nouveau auquel nous assistons.
Lors de cette conférence, des sujets d’importance capitale ont été abordés, constituant des préoccupations chez les assureurs et réassureurs tant au niveau de la région qu’à l’échelle internationale. Ils tournent autour de la question de savoir comment se préparer à répondre, sur le plan assurance et réassurance, en termes de couvertures, aux risques émergeants liés à l’évolution technologique, au réchauffement climatique et aux pandémies.
Cette conférence réunit les acteurs du domaine issus de la région Mena et d’autres contrées comme l’Europe. A quel niveau situez-vous le marché algérien des assurances ?
Par rapport à la région Mena, le marché algérien n’est ni le meilleur ni le moins performant. On peut le situer parmi les quatre ou cinq premiers en termes de pénétration, de niveau des primes émises et de l’importance des acteurs. Par exemple, dans un classement en termes de chiffre d’affaires, notre société est classée à la 42e position sur un nombre de 300 sociétés d’assurance. De ce point de vue, je dirais que c’est un classement assez appréciable, sachant qu’en matière de capital social, nous y figurons aussi parmi les premiers. Dans ce classement, la CCR et la CAAT sont, aussi, en bonne posture.
Il faut dire que notre marché a beaucoup de ressemblances avec les marchés arabes, en termes du degré de développement. Les marchés de la région Mena restent, malheureusement, en recul par rapport aux marchés développés, vus sous l’angle de la pénétration, dont la plupart ont du mal à dépasser le seuil de 1%, pendant que la moyenne mondiale tourne au autour de 6%.
Les mêmes préoccupations existent au sein de ces marchés, à savoir : Une pénétration de l’assurance dans le tissu socio-économique à améliorer et une contribution à la richesse annuelle produite à faire évoluer. Ce type de conférences permet d’échanger, non seulement avec les acteurs de la région mais aussi avec les partenaires représentant d’autres places ; de l’ensemble des défis que nous sommes appelés à relever ainsi que des voies et moyens pour y parvenir en s’appuyant sur les expériences de marchés plus matures.
Nous sommes donc contents de renouer avec ce cadre après deux années de confinement sanitaire (Covid-19, ndlr). La dynamique retrouvée apportera, sûrement, du souffle à l’activité. C’est aussi une opportunité qui permettra aux cadres algériens, notamment la nouvelle génération, de se frotter à d’autres cultures et de découvrir des façons de faire, peut-être différentes, notamment celle des pays du Golf, très proches du monde anglo-saxon où les assurances jouent, réellement, les premiers rôles. Cela va renforcer leur expérience et leurs capacités professionnelles, voire managériales.
Parlons un peu du marché algérien. En dépit du potentiel avéré qu’il recèle, le taux de pénétration de l’assurance reste en deçà des attentes. Selon vous, qu’est ce qui bloque la machine ?
C’est un sujet d’une extrême importance, qu’il faut aborder avec beaucoup de recul. D’abord, ce n’est pas mauvais de reconnaitre que le niveau de production du marché national des assurances, même en croissance d’année en année, est loin de refléter le gigantesque potentiel assurable que recèle notre pays. Un pays-continent qui dispose d’une base industrielle non-négligeable, d’une population de 44 millions d’habitants, d’un parc immobilier dépassant les 9 millions d’unités et d’un parc automobile d’environ 7 millions de véhicules. Notre défi, en tant qu’acteurs de ce marché, est de redoubler d’efforts, individuellement et collectivement, afin de trouver les meilleures voies pour le tirer vers le haut quantitativement et qualitativement, et le hisser au niveau de ce qu’on peut trouver dans les pays émergeants. C’est aux assureurs, en effet, qu’il appartient de promouvoir la culture d’assurance et d’en créer la demande. Cela ne pourra venir si on ne commence pas d’abord par améliorer la qualité des prestations dans le cadre des garanties obligatoires existantes à savoir : développer le service de proximité, déployer une communication pertinente et, surtout, résoudre vite la problématique des paiements tardifs des sinistres, notamment dans la branche automobile.
Ce n’est qu’avec ce type d’actions que nous parviendrons à améliorer notre intervention de nature à susciter des demandes additionnelles de la clientèle en portefeuille, et d’étendre progressivement la culture d’assurance à tous les maillons de la société.
Sur un autre registre, il faut dire que parmi les facteurs à l’origine du recul, il y a l’organisation même de notre économie. A ce titre, nous sommes contents de la nouvelle orientation prônée par les pouvoirs publics et du nouveau paradigme qui se dessine petit à petit, et qui ne manquera pas de favoriser l’émergence d’une économie ouverte, diversifiée et productive.
Le secteur des assurances ne pourra, alors, qu’en profiter pour jouer pleinement son rôle de protecteur, mais également de collecteur d’épargne et de financeur de l’activité économique.
Notre souhait, dans le cadre de cette nouvelle vision économique, est de voir la sphère assurantielle récupérer certaines missions prises en charge, jusque-là, par la dépense publique, à l’exemple des indemnisations versées au titre des sinistres liés aux catastrophes naturelles et aux calamités agricoles.
Cela aurait un double effet : permettre la réduction de la pression sur le budget de l’Etat et favoriser l’émergence d’un marché de l’assurance plus contributif à l’essor économique.
Rappelons que dans beaucoup de pays, l’intervention de l’Etat, quand elle a lieu, se limite à la subvention de la prime d’assurance, plutôt qu’à la réparation des dommages causés aux personnes et aux patrimoines. Il arrive aussi que l’Etat soit le garant ultime d’un dispositif dont les capacités financières du système assurantiel peuvent s’avérer insuffisantes à faire face aux conséquences de certains évènements catastrophiques. Les chiffres rappelés récemment par le gouvernement, liés aux indemnisations des évènements catastrophiques de ces dernières années, prises en charge par la dépense publique, sont faramineux et s’expriment en milliards de dollars. Cette intervention budgétaire en aval d’un évènement aléatoire dommageable, présente, à notre sens, le double inconvénient de faire supporter au budget de l’Etat une dépense qui ne devrait pas relever de son périmètre, mais surtout, d’empêcher le développement d’un segment d’assurance porteur.
Après les grandes orientations économiques nouvelles, qu’en est-il de la réforme des textes régissant l’activité des assurances, comme souhaité vivement et demandé par les professionnels ?
Il faut reconnaitre que le secteur des assurances est bien loti par rapport à d’autres secteurs, en termes de réglementation. Le cadre juridique existant, qui a été enrichi à plusieurs reprises, répond globalement aux aspirations des professionnels, même si le besoin de le faire évoluer est certain, pour tenir compte de l’évolution de l’environnement des assurances à l’échelle internationale. Autrement dit, l’Ordonnance 95-07 relative aux assurances a consacré l’ouverture du marché, qui a connu l’arrivée de nouveaux acteurs, l’autorisation de l’intermédiation et l’installation de succursales de sociétés étrangères d’assurance. Aujourd’hui, tout ce monde est actif sur le marché.
La réforme majeure de 2006 est venue, à travers les dispositions y contenues, renforcer la gouvernance des sociétés d’assurance et leur solvabilité. L’obligation de soumettre à l’agrément préalable de la commission de supervision des assurances, toute candidature aux postes de direction (cadres dirigeants & membres du conseil d’administration) répond à ce souci.
D’autre part, l’abandon de la règle du droit commun traitant du capital social minimum des sociétés commerciales et des modalités de sa libération, et son remplacement par l’institution d’un régime spécifique aux assurances, consistant en la libération de l’entièreté du capital à la constitution de la société en révisant à la hausse le montant minimum exigé, vont également dans le sens du renforcement des capacités des assureurs à tenir leurs engagements vis-à-vis des détenteurs des contrats d’assurance.
Enfin, la séparation institutionnelle entre les assurances vie et non vie, constitue aussi une avancée significative dans le sens de l’amélioration du rendement du secteur.
Hélas, cette dernière mesure n’a pas été accompagnée de la mise en place d’un environnement, notamment financier, favorable au développement du segment vie. Notre souhait est que les réformes en cours puissent inscrire, parmi les priorités, le développement d’un marché financier dynamique, qui reste la condition essentielle au développement de ce véritable levier de collecte d’épargne à long terme, indispensable à la diversification recherchée des sources de financement de notre économie.
En outre, et avec le développement accéléré des nouvelles technologies, nous avons besoin de réformer le cadre législatif actuel pour intégrer les préoccupations des professionnels et de leur offrir davantage de flexibilité dans la conduite de l’indispensable transformation du business model de l’assurance gage de la stimulation de la demande d’assurance.
La supervision est, enfin, concernée par ces réformes à introduire, tant en termes d’organisation qu’en termes de règles prudentielles à mettre en place. L’objectif, à terme, est de favoriser une compétition soutenable entre les acteurs. C’est de ces quelques réformes dont on a besoin, aujourd’hui, pour donner toutes les chances à cet important secteur économique de jouer pleinement son rôle.
Selon vous, la présence de compagnies d’assurance étrangères chez nous, est-il un indicateur de l’importance du potentiel du marché algérien ?
Evidemment. Comme j’ai eu à le signaler au début de notre discussion, notre pays recèle un potentiel assurable considérable. Vous avez des niches nettement sous exploitées, qui peuvent, avec la réunion de certaines conditions, tenant à la fois à l’organisation de notre économie et aux mutations que les assureurs se doivent d’opérer, contribuer à doubler, voire tripler le taux de pénétration actuel.
Il s’agit du segment des risques simples, à l’instar de l’habitation, mais également des assurances périphériques au segment vie notamment la santé.
Je me garderais bien de citer les nouveaux risques liés aux cyber-attaques et aux pandémies, car, ce sont des segments que les seuls assureurs ne pourront développer, faute de capacités financières suffisantes, et pour lesquels un partenariat avec les pouvoirs publics est nécessaire.
Cette conférence du GAIF vous a-t-elle permis justement de tirer profit des expériences des pays qui ont développé les nouveaux produits d’assurance ?
Oui, c’est dire toute l’importance de ce type de rencontres pour s’informer des expériences réussies et en tirer profit. Les différents intervenants durant ces journées ont été unanimes pour attirer l’attention sur la nécessité d’œuvrer, pouvoirs publics et acteurs économiques, à anticiper les besoins de couverture qui viendraient, à la fois, des risques générés par les changements climatiques devenus une réalité aujourd’hui, que de ceux en relation avec les pandémies et enfin, de ceux liés aux évolutions technologiques, connus sous le vocable de ‘’cyber-risks’.
Pour finir, vous avez eu à tenir des rencontres « B to B » avec vos partenaires. Lors de cette conférence. Pouvez-vous nous dire s’il y a de nouveaux acteurs intéressés par le marché algérien ?
Les acteurs qui sont venus participer à cet événement représentent, pour la plupart, des entités de courtage et de réassurance avec lesquelles nous entretenons des relations d’affaires.
Bien sûr que tout ce monde est intéressé par développer davantage de relations avec notre marché, qui reste attractif eu égard à son potentiel. Nous essayons de notre part, de tirer profit de ce type de rencontres pour améliorer nos façons de faire et développer des partenariats gagnant-gagnant.
Il est prévu que notre pays abrite, l’an prochain, une autre rencontre d’envergure, qui regroupera les assureurs et réassureurs du continent africain. Le déroulement réussi de la 33ème conférence du GAIF, est de nature à renforcer notre capacité à organiser de grands évènements, utiles à faire évoluer la position de notre marché et sa notoriété, à l’échelle continentale et régionale.
H. N. A.