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Mourad Louadah, expert et fondateur d’IRIS JC INDUSTRIAL : « L’Algérie a toutes les capacités pour relever le défi de la transition énergétique »

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Passionné des énergies renouvelables, expert et investisseurs dans ce domaine, Mourad Louadah revient, dans cette interview, sur la stratégie de l’Algérie axée sur la diversification de ses sources d’énergie à travers un cap franc fixé sur le renouvelable, et plus particulièrement sur le solaire photovoltaïque. Mourad Louadah salue à l’occasion la volonté du Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui plaide sans relâche en faveur de l’accélération de la transition énergétique. Le PDG d’IRIS JC INDUSTRIAL détaille également sa vision quant aux facteurs nécessaires à l’émergence d’une chaine de valeurs nationale du photovoltaïque et appelle à l’instauration d’un système de bonus en faveur des producteurs et consommateurs d’énergie d’origine renouvelable et revoir les prix des énergies d’électricité en fonction des couches sociales.

Interview réalisée par H. Nait Amara

L’Algérie multiplie les initiatives pour la diversification de ses sources d’énergies en appelant à ouvrir et à faciliter l’investissement dans l’énergie renouvelable, quelles sont les attentes des investisseurs en matière d’accompagnement et de facilitations ?

L’Algérie recèle un énorme potentiel en énergie solaire photovoltaïque. Le pays bénéficie d’un positionnement géographique favorable et d’un ensoleillement de plus 3500 heures par an, ce qui en fait l’un des pays les plus ensoleillés au monde. En termes d’avantages, il est clair qu’il y a manifestement un climat favorable aux énergies renouvelables, mais des manques sont également à signaler.

Il faut reconnaitre, que depuis l’arrivée du Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, il n’a cessé d’encourager et de pousser en faveur des énergies renouvelables. Un programme a été tracé en 2011 pour la réalisation d’un parc de 22.000 mégawatts d’un mix énergétique renouvelable aussi appelé énergies vertes (solaires, solaire thermiques, éoliens, géothermiques, biomasses et hydrauliques) permettant de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, réduire les couts de production d’énergie et les investissements (Capex et LCOE), pour répondre aussi à l’urgence climatique, sans que cela ne soit accompagné d’une stratégie et d’une vision globale.

Après les accords de Paris conclus en 2015, nous nous sommes retrouvés dans l’obligation d’accélérer cette transition énergétique afin d’honorer nos engagements. Une nouvelle feuille de route a été établie par le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, pour la réalisation d’un ensemble photovoltaïque d’une capacité de 15 000 mégawatts. La politique du président consistait, entre autres, à augmenter la capacité de production installée et à exporter l’énergie excédentaire. Pour cela, le choix a été porté sur Sonelgaz, seul groupe public capable de mener et de piloter un tel projet, compte tenu de la particularité du marché algérien de l’énergie où l’aspect social est primordial.

Actuellement le prix du kilowattheure moyen dans le monde oscille entre 0,22 € KWh et 0,45 € KWh (soit 32,56 DA/KWh – 66.60 DA/KWh), alors qu’en Algérie le prix est nettement inférieur (entre 0,012 € KWh et 0,028 € KWh), soit 1,77 DA KWh et 4,18 DA/KWh. Compte tenu de cette tarification appliquée sur le marché algérien, nous ne pourrons pas avoir des producteurs indépendants d’électricité (IPP), alors que la tendance mondiale met le cap sur ces derniers, notamment depuis la hausse des coûts de l’énergie dans le sillage de la crise russo-ukrainienne. Preuve en est que les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables ont grimpé l’année passée à 1700 milliards de dollars, contre seulement 1000 milliards de dollars dans les énergies fossiles.

En Algérie, près de 98% de notre électricité est produite depuis l’énergie fossile, le gaz. 

Pour augmenté la part des ressources énergétique renouvelables dans la production de l’électricité et pour la réduction des émissions de gaz a effet de serre, il faut absolument moderniser le réseau électrique en déployant des technologies de l’industrie 4.0 pour leurs meilleure gestion.

Cependant, il y a une volonté de faire avancer les choses en capitalisant sur l’expérience acquise par Sonelgaz dans la production, la distribution d’électricité et celle provenant des énergies renouvelables. Nous avons d’ailleurs constaté depuis deux années un changement radical au plan de la gestion de cette compagnie qui s’est montrée résiliente face aux dernières crises énergétiques.

Malgré le pic de consommation enregistré cette année sur le marché domestique, atteignant 18 697 MW et représentant une augmentation de plus 1850 MW  par rapport à l’année 2022, le groupe Sonelgaz a réussi à finaliser le dossier des 3 000 mégawatts d’origine solaire en moins de 6 mois, à noter que le prix du kWh provenant de cet appel d’offres est le moins élevé de la région, à environ 0,5 € par kWh, tandis que le prix moyen mondial s’élève à 0,9 € par kWh.

A mon sens le groupe Sonelgaz doit à présent travailler sur une stratégie visant à s’ouvrir aux PME/PMI et aux startups, dans le but d’optimiser ses investissements pour un meilleur rendement, notamment en assurant un suivi des sociétés EPC bénéficiaires de ces appels d’offres.

Il faut aussi se rendre à l’évidence que nous n’avons pas encore mis en place un écosystème répondant aux normes européennes et mondiales. 

Pour répondre à votre question, l’État doit absolument agir en tant que facilitateur et accompagnateur, développer une bonne gouvernance et une stratégie de transition énergétique à long terme de bien et service pour stimuler les investissements dans ce secteur stratégique, jouant un rôle crucial dans la sécurité énergétique tout comme celle de  la sécurité hydrique.

Certes des efforts sont perceptibles sur le terrain pour assurer et garantir cette transition énergétique, mais une  meilleure collaboration avec des entreprises comme IRIS JC INDUSTRIAL, spécialisées dans le secteur des énergies renouvelables, serait plus bénéfique.

Quelles mesures pourraient favoriser le succès des projets comme ceux de 3000 MW d’énergie renouvelable lancés par le groupe Sonelgaz ?

Le projet est intéressant à plus d’un titre, notamment celui de rétablir notre position en tant que premier producteur d’électricité renouvelable en Afrique. Cependant, il est crucial d’accélérer la mise en place de nouvelles réglementations. Les lois actuelles ne suffisent pas pour booster ce secteur et accompagner cette transition énergétique en cours. La crise énergétique mondiale, exacerbée par les tensions géopolitiques entre l’Ukraine et la Russie, a remis le gaz comme énergie  fossile polluante au même titre que le charbon et le pétrole lors de la  COP28 (portant durant la COP26, la décision a été prise et que le gaz naturel garde un rôle-clé dans l’avenir de l’énergie mondiale). Cela souligne l’importance croissante des énergies renouvelables dans le futur proche. Cette dernière COP a plaidé pour une taxe carbone dès 2030, confirmant cette tendance. 

Dans ce contexte mondial, l’Algérie doit jouer un rôle clé en accélérant les investissements dans les énergies renouvelables, en mettant en place une politique incitative et avantageuse au profit des entreprises nationales et des IDE (Investissements directs étrangers) et des PPP( Partenaires Publiques Privés ), en créant un organe de contrôle pour déterminer les indicateurs de performance de ce partenariat.

Maintenant, pour revenir à votre question, comme je viens de l’indiquer plus haut, les hautes autorités de l’Etat doivent agir en tant que facilitateurs pour les entreprises souhaitant investir dans ce domaine, quelles que soient leurs tailles. Il est également crucial d’encourager l’intégration de nouvelles technologies. 

L’État devrait dédier des fonds importants spécifiquement aux énergies renouvelables et à la création d’un fonds d’investissement citoyen pour ce secteur. Cela permettrait à chaque Algérien de devenir actionnaire, créant ainsi une synergie collective.

Au-delà de l’aspect investissement, l’efficacité énergétique et l’économie d’énergie sont des aspects qui ne sont pas souvent discutés et débattus, quelle stratégie pouvez-vous suggérer et quel est le rôle de Sonalgaz dans cette efficacité énergétique ?

Parler de l’efficacité énergétique nous amène à parler de l’économie d’énergie sous tous ses aspects. Dans les faits, l’Algérie doit revoir sa stratégie et l’ensemble de son arsenal juridique avec des textes de lois simples et faciles à la lecture et à l’application. Il est important de faciliter et accompagner les experts, PME/PMI et les startups vers des sociétés de services et des laboratoires de contrôle de qualité pour les composants et équipements qu’ils soient produits localement ou importés, en élaborant des cahiers des charges en phase avec les exigences de cette transition énergétique. Dans le cas contraire, nous risquons d’avoir bientôt des centaines de cimetières de centrales solaires transformées en déchets métalliques.

L’Algérie a toutes les capacités nécessaires pour relever ce défi. Je pense qu’il est temps de créer une Banque Carbone pour instituer un système de bonus au profit des investisseurs et des consommateurs des énergies renouvelables. Je dois dire également que la question de l’efficacité énergétique n’est pas uniquement du ressort de Sonelgaz qui, de par ses statuts, est une société commerciale qui investit et produit de l’énergie. Le groupe a consenti beaucoup d’efforts dans ce domaine, en orientant ses investissements vers le renouvelable en réponse à la hausse de la consommation domestique qui évolue à plus de 10% chaque année.

Le groupe Sonelgaz assume parfaitement ses responsabilités en matière de production d’énergie et que l’efficacité énergétique doit commencer par la maitrise de la consommation. Cela ne peut se faire qu’à travers la sensibilisation des consommateurs aux questions d’économie d’énergie et du coût de l’énergie par rapport aux tarifs appliqués. Un système de bonus en termes de consommation et de tarification serait également efficace en la matière. Ce système de bonus distribuable en fonction de la consommation doit impliquer à terme l’électricité d’origine solaire, dont la tarification doit être plus avantageuse pour le consommateur avec, en plus, des subventions pour l’installation de systèmes solaires résidentiels et autres produits et équipements.

Globalement, le débat sur l’efficacité énergétique a été faussé jusqu’ici par la question de la tarification. Les producteurs font d’énormes efforts pour produire plus d’énergie et rentabiliser leurs investissements, tandis que les consommateurs, face à une tarification avantageuse, déploient moins d’efforts en matière d’économie d’énergie. Je pense qu’il faut adopter un système de tarification en fonction des catégories de consommateurs. Car, sincèrement, je ne vois pas pourquoi un hôtel ou une société paierait l’électricité au même prix qu’un ménage. Je salue d’ailleurs la volonté de l’Etat de s’orienter vers un ciblage des subventions à l’avenir. 

Vous qui êtes chef d’entreprise et investisseur dans le domaine des énergies renouvelables, quelles sont les capacités dont dispose l’Algérie pour l’émergence d’une chaine de valeur dans le secteur des ENR ?

Pour répondre à votre question, je reviens nécessairement à la question de l’écosystème. Les entreprises et personnes ayant investi par le passé dans les énergies renouvelables sont actuellement déficitaires sur le plan commercial. Les niches de marché qui existaient par le passé ne permettaient pas une rentabilité des investissements, surtout s’ils proviennent uniquement des commandes publiques. En termes de capacités d’installation, l’Algérie possède un énorme potentiel. Comme je l’ai déjà mentionné, il existe une forte volonté politique de redonner au secteur des énergies renouvelables ses lettres de noblesse afin de réussir la transition énergétique à laquelle aspire l’Algérie.

Cependant, d’autres efforts sont nécessaires en enrichissant et musclant la réglementation dédiée spécifiquement à l’énergie renouvelable, à l’image de ce qu’a été fait pour les autres secteurs avec, comme faits tangibles, l’avènement d’un nouveau code de l’investissement, d’une nouvelle loi sur la monnaie et le crédit, la nouvelle loi sur les hydrocarbures…etc.

Je veux dire par là que le secteur de l’énergie renouvelable gagnerait à avoir un code d’investissement simple attractif propre à lui. Contrairement à l’énergie produite à partir du gaz, les investissements dans les énergies renouvelables, quelle que soit leur nature, sont importants et ne génèrent pas un retour sur investissement à court terme. Par ailleurs, la chaine de valeur à laquelle vous faites référence dans votre question est en train de se construire au fur et à mesure. 

Il faut que l’Etat ouvre le secteur à l’investissement pour accélérer la production d’équipements et d’autres composants, pour intégrer les qualifications des experts du secteur économique dans les capacités nationales. Même le président de la république a affirmé lors de la dernière Foire de la production nationale que l’Etat soutenait et accompagnait les investissements, à tous les niveaux, pour de meilleures performances et d’avantage d’opportunités d’emploi.

Et pour inciter le secteur économique à être une des composantes de cette chaine de valeur, l’État doit envisager de subventionner une partie de l’énergie produite à partir des sources renouvelables, comme cela se fait à travers le monde, compte tenu du coût élevé des investissements dans les énergies renouvelables et de la tarification actuellement peu élevée de l’énergie produite a partir du fossiles. 

La contribution de l’Etat doit se faire en amont, dans les installations et dans la production industrielle et de services.

Cette stratégie serait d’une grande aide pour le pays en matière d’investissements et de réponse à une demande du marché en constante augmentation.

Vous êtes CEO et fondateur d’IRIS JC IND, que fait votre entreprise dans le domaine des énergies renouvelables ?

Nous sommes une société spécialisée dans l’Engineering, Procurement & Construction (EPC).

Notre champ d’action s’étend à travers tout le territoire national, où nous intervenons dans la mise en place et le suivi d’installations photovoltaïques. Nous apportons également un soutien à des entreprises engagées dans la transition énergétique et l’hybridage de leurs installations, réparties sur plusieurs wilayas, la formation de techniciens et d’ingénieures de différents centres de formation et d’universités. Nous fabriquons nos propres structures métalliques et nos socles. Nous sommes impliqués dans plusieurs projets actuellement en phase d’étude d’installation et d’évaluation. 

En ce qui concerne les investissements dans les intrants et les composants des installations énergétiques, nous avons certains projets en cours d’étude, maintenant que le marché du renouvelable et vraiment en action avec beaucoup d’opportunités depuis la concrétisation du lancement d’une partie du projet des 15.000 MW. A cet effet, nous allons suivre cette trajectoire croissante.

À ce propos, le développement de l’industrie nationale du photovoltaïque dépendra de plusieurs facteurs, notamment la révision du code des douanes appliqués aux intrants des énergies renouvelables et la mise à jour de la politique d’investissement dans ce domaine…

Justement, parlez-nous de votre vision et celle de votre entreprise en matière d’investissement dans les ENR ?

Comme je l’ai dis au début de notre entretien, l’Algérie dispose d’un potentiel solaire extraordinaire. Entre midi et 14h00, notre pays reçoit plus de soleil que le monde entier.

Cet avantage peut faire de notre pays la pile de l’Europe, de l’Afrique et du reste du monde. Par ailleurs, le pays regorge aussi de compétences actives en Algérie et à l’étranger. Avec l’essor que connaissent les PME/PMI et les startups ainsi qu’avec les promesses de facilitations accordées aux investisseurs, nous pourrions être en mesure de développer des systèmes complexes de production d’énergie renouvelable.

Le secteur de l’énergie a été élevé par le Président de la République, au même titre que ceux de l’agriculture et de l’agroalimentaire, de l’hydrique, du pharmaceutique et du numérique, au rang de priorité nationale. 

Pour accompagner l’essor de ces piliers de l’industrie nationale, l’État doit supprimer l’influence abusif de la bureaucratie, qui reste un frein au développement entrainant plusieurs conséquences a tout les niveaux.   

Notre vision à ce sujet est très claire : il est impératif de créer un environnement propice à l’émergence d’un écosystème favorable pour dépasser nos prévisions de production de 15 000 mégawatts d’énergie renouvelable.

En plus de la couverture de la demande nationale, le pays doit s’ouvrir à l’exportation de l’énergie d’origine renouvelable en attirant les IDE vers ce domaine. Les avantages sont multiples : accélérer la décarbonisation et la transition énergétique, investir dans les intrants en créant des micro zones censées accompagner les gros investissements, et créer des milliers d’emplois directs grâce à la formation aux métiers du renouvelable.

Cette industrie solaire servira ensuite à l’essor de l’industrie de l’hydrogène et de l’ammoniac. Ces avancées à leur tour contribueront à développer davantage notre agriculture et à diversifier nos exportations. L’État doit être un facilitateur pour soutenir ces investissements stratégiques dans une Algérie où les chantiers dans tout les domaines sont à ciel ouvert , comme il l’a confirmé le président de la république Abdelmadjid Tebboune. 

H. N. A.

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