Le directeur général de Salama Assurances Algérie, Mohamed Benarbia, déplore dans cet entretien, l’absence d’un débat sur les réforme des assurances en Algérie, à la veille des révisions qui devraient toucher, prochainement, certain textes réglementaires régissant le secteur. Pour lui, les propositions qui ont été faites, il y a de cela quelques années déjà, pourraient être dépassées aujourd’hui, d’autant que la conjoncture économique actuelle et le contexte politique et social a depuis considérablement changé. Explications.
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
Peut-on connaitre les résultats réalisés par la société durant l’exercice 2021 ?
Le résultat 2021 a été de l’ordre de 397 millions de dinars, en recul de 4% par rapport à 2020, qui était de 412 millions de dinars. Ce léger recul provient essentiellement du recul enregistré au niveau du chiffre d’affaires. Le secteur des assurances continue à connaître une crise, particulièrement dans la branche automobile, ce qui a induit un recul de notre chiffre d’affaires de l’ordre de 5%. Nous avons fait un chiffre d’affaires de 4,3 milliards de dinars, contre 4,6 milliards de dinars en 2020. Mais je peux dire que notre résultat reste un des meilleurs du marché national. Au niveau des compagnies privées, Salama est classée 2e compagnie, en termes de résultats, après la CIAR. C’est ce qui nous a permis de consolider l’assise financière de la société. Il va sans dire que la force d’une société d’assurances dépend de sa puissance financière et non pas uniquement de son chiffre d’affaires. Pour Salama, les placements financiers avoisinent les 10 milliards de dinars, avec un revenu net de 473 millions, soit en hausse de 19% par rapport à 2020. Il y a beaucoup de compagnies d’assurances qui ont un chiffre d’affaires comme le nôtre mais leurs placements sont trois fois moins que ceux de Salama. Nos placements sont importants car nous suivons une politique de provisionnement rigoureuse de plusieurs années, ou nos provisions techniques sont certifiées par un actuaire agrée et indépendant, ceci est pour se rapprocher des standards internationaux en termes de gestion et de résultats. Mondialement, les compagnies d’assurances doivent faire des résultats sur les placements financiers et non pas sur les résultats techniques. C’est ce que nous faisons à Salama, afin d’améliorer notre qualité de service et notre relation avec la clientèle, en réduisant les délais de remboursement, en payant rapidement les sinistres de sorte que le résultat technique tend vers zéro et se contenter d’un résultat global basé sur le résultat des placements.
Quel a été l’impact de la pandémie sur la société et quelles ont été les mesures prises pour « limiter les dégâts » ?
L’impact était important. En 2020, nous avons enregistré une chute de 15 % de notre chiffre d’affaires et de 5% durant 2021. Il est vrai que l’effet de la crise sanitaire a été atténué, l’année dernière, mais nous avons subi, en 2020, les conséquences dramatiques de la fermeture de beaucoup d’entreprises, de l’arrêt de beaucoup de chantiers de construction et de l’arrêt de l’activité de transport qui a causé la baisse du volume de souscription à l’assurance automobile. L’année dernière, le recul du chiffre d’affaires de 5% n’était pas dû à la pandémie, mais beaucoup plus au non renouvellement d’une grande police d’assurance, en l’occurrence celle du chantier de réalisation d’une autoroute entre Sétif et Bejaia. En plus de la perte d’un grand client, qui était chez nous durant plusieurs années. Il faut dire, par ailleurs, qu’il n’y a pas seulement l’impact de la pandémie, mais aussi de la crise économique. Celle-ci a impacté le niveau de vie du citoyen qui est en train de gérer rationnellement ses revenus. Lorsqu’il y a crise, les ménages font des coupes de budget dans les segments considérés secondaires. L’assurance, aux yeux du citoyen, est secondaire comparativement à l’alimentation, à l’habillement ou autre. La branche automobile a d’ailleurs enregistré une chute de 3% chez nous, mais aussi au niveau de tout le marché algérien des assurances.
Comment qualifiez-vous l’engouement des clients pour les produits islamiques ?
Salama est une compagnie d’assurance Takaful depuis sa création, même si l’ancienne loi n’autorisait pas d’une façon explicite le Takaful et ne l’interdisait pas explicitement non plus.
Cela a créé beaucoup de problèmes à la compagnie, notamment en termes de rentabilité. Mais ceci n’a pas empêché l’engouement des clients pour les produits d’assurance Takaful. C’est d’ailleurs grâce à ces produits que la compagnie a pu s’imposer sur le marché en se classant à la 2e place parmi les compagnies privées. Je ne vous cache pas qu’il y a beaucoup de clients qui viennent chez nous parce que Salama est une société Takaful. Cet engouement s’explique par deux éléments : la meilleure qualité de service de SALAMA comparativement avec ses concurrents, publics ou privés, et par le facteur cultuel qui fait qu’il y a des clients qui croient que l’assurance conventionnelle est Haram et préfèrent s’orienter vers SALAMA puisque elle est le seul assureur Takaful sur le marché. C’est la raison pour laquelle nous n’hésitons pas à dire que nous sommes un assureur Takaful mais nous accordons une importance capitale à la qualité de service. Je peux dire que Salama est l’une des rares compagnies du marché qui suit minutieusement les délais de règlement des sinistres et fait beaucoup d’efforts pour les améliorer, ce qui lui a permis de porter le délai moyen de 140 jours, il y a 3 ans, à 33 jours, en 2021.
La société a-t-elle fait face à de grands sinistres, ces dernières années ?
Effectivement, nous avons fait face à de grands sinistres, mais nous n’avons eu aucune difficulté à les honorer. La société est gérée avec professionnalisme et dispose de traités de réassurances, de niveaux de couvertures en réassurances correctement négociés, avec des contrats correctement établis. A titre d’exemple, nous avons payé l’année passée un sinistre à Lafarge Algérie de l’ordre de 500 millions de dinars. Le client a bénéficié d’avances et le dossier a été soldé une semaine après la clôture du PV d’expertise. Le client lui-même atteste que des grandes compagnies d’assurances sur le marché algérien n’ont pas pu faire mieux, dans le passé. Avant ce sinistre, nous avons eu d’autres cas avec une société privée à Chéraga dont le sinistre a coûté 220 millions de dinars, payés une semaine après l’expertise. Chez Salama, nous essayons toujours, dans notre fonctionnement, de se rapprocher des standards internationaux. C’est ce qui nous permet de réaliser de bons résultats, comme les 10 milliards de dinars d’actifs ou les 400 millions de dinars de produits financiers. Nous avons affronté les difficultés d’une façon professionnelle dans une vision à long terme dans l’intérêt de la société et de ses clients, en évitant des solutions faciles pour faire du résultat à court terme.
Quel est l’apport du groupe auquel Salama appartient au fonctionnement de la société ?
L’apport du groupe Salama se voit sur l’aspect rigueur dans le reporting, l’arrêt des situations périodiques, l’établissement des bilans trimestriels et annuels ainsi que dans l’audit et le contrôle. Cela s’explique par le fait que la société soit cotée en bourse où les évaluations se font trimestriellement. L’apport du groupe se voit aussi dans le management de la société, notamment dans le suivi budgétaire, l’établissement des budgets, la réalisation des objectifs… etc. En dehors de ça, la société dispose, à 99%, de cadres algériens formés en Algérie et qui ont rehaussé le niveau de gestion de Salama par leur compétence. Il y a 2 étrangers seulement au Top management, un Egyptien en finances et un Tunisien en informatique.
Qui est le groupe Salama ?
C’est un groupe émirati, deuxième compagnie Takaful au monde, qui a créé une filiale au Bahreïn (TARIC) et c’est cette dernière qui détient la majorité du capital à Salama.
Quels sont les principaux produits d’assurances de Salama mis sur le marché ?
Le marché algérien est prédominé par l’automobile. C’est une branche qui présente une forte concurrence, notamment sur le plan tarification. C’est ce qui a conduit, d’ailleurs, l’UAR à mettre en place un protocole d’accord pour limiter les réductions. Notre premier produit concerne donc l’automobile. D’autres produits sont destinés aux particuliers, comme la multirisque habitation, la CAT-NAT qui concernent les particuliers. Nous avons aussi des produits multirisques professionnels, destinés aux professions libérales, couvrant les locaux, les équipements et certaines pertes qui pèsent sur ces professions. Pour les risques d’entreprises, Salama a développé ce produit d’assurance d’une façon très importante, dès 2015. Ce produit est représenté par la multirisques entreprises qui couvre tous les risques d’entreprise, la Globale banque, le risque transport et le risque lié aux constructions sur chantiers. Nous distribuons aussi des produits d’assurance de personnes dans le cadre d’une convention qui nous lie à la société Algérienne Vie.
Les pouvoirs publics comptent apporter des révisions sur la réglementation régissant le secteur des assurances. Comment concevez-vous cette révision ?
On a beaucoup parlé de projet de réforme, mais ce projet a été reporté à plusieurs reprises. Au bout de 3 ou 4 ans, je pense qu’il faut rouvrir le débat sur cette réforme, puisque les choses qui étaient proposées il y a 4 ans n’ont peut-être plus raison de l’être aujourd’hui, d’autant qu’il y a eu beaucoup de changements dans le pays. Le code des assurances mérite d’être ouvert au débat entre tous les acteurs du secteur. Malheureusement, ce débat était limité et n’a concerné que la révision de l’ordonnance 95/07 de 2006, en plus de quelques propositions transmises par l’UAR à la tutelle, il y a de cela 5 ans. Pour moi, les réformes les plus importantes devraient s’articuler autour de trois points. Le premier est relatif à l’autorité de supervision qui doit être indépendante, ne faisant aucune distinction entre public et privé, conformément aux principes de supervision des assurances qui existent au niveau de l’association internationale des organismes de supervision. Le deuxième point concerne les actuaires auxquels il faut donner un rôle plus important, à travers l’assistance du Conseil d’administration dans la prise des décisions et l’instauration d’une certification des provisions techniques délivrée par un actuaire indépendant. C’est ce qui permettra de régler définitivement le problème de la sous-tarification, les réductions abusives, et de la concurrence déloyale. Le troisième élément de cette réforme doit traiter la question des réseaux de distribution qui doit être libérer davantage et encadrer par des textes mis à jour. Dans le monde entier, les produits d’assurance sont distribués à travers plusieurs canaux comme les grandes surfaces, au niveau des agences immobilières, chez les notaires, sur des plateformes informatiques (Insurtech) et autres. Il faut donc libérer les réseaux de distribution, en les encadrant bien sûr. Chez nous, en dehors des intermédiaires, les produits d’assurances sont distribués uniquement à travers les banques alors que le besoin de légiférer pour encadrer le développement des insurtechs qui rentrent dans le programme de développement des Startups s’impose. Ces restrictions et ce manque dans le cadre juridique réduisent le développement du secteur et le taux de pénétration.
H. N. A.