Hakim Soufi, PDG de Macir Vie, revient dans cet entretien qui l’a bien voulu accorder au magazine Indjazat sur les principaux messages véhiculés par la 33ème conférence du GAIF, organisée, début juin, à Oran. Hakim Soufi estime que l’évènement, les compagnies d’assurance et leurs cadres ont donné une excellente image de l’Algérie. Le PDG de Macir Vie n’a manqué de souligner la qualité des débats et les thématiques discutées lors de cette conférence. Il évoque également dans cette interview le défi de la transformation digitale qui anime l’ensemble des compagnies algériennes d’assurances, condamnées, selon lui, de réussir cette mue en faveur du numérique sous peine de disparaitre ou de se faire déclasser. Le PDG de Macir Vie nous parle également des réformes à mener dans le secteur et des différents soubassements sur lesquels doit être bâtie la nouvelle stratégie du secteur national des assurances.
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
La 33ème conférence du GAIF a été riche en débats et en recommandations, quels ont été les messages les plus importants véhiculés par cet évènement, selon vous ?
Avant de parler des messages, il est important de mettre en exergue la qualité des cadres (femmes et hommes) de toutes les compagnies d’assurances du marché algérien qui n’ont pas démérité mais aussi et surtout qui ont enrichis les débats et ont nourris les échanges. Sans compter qu’ils ont toutes et tous dignement représenté le pays et le secteur. J’insiste sur ce point, toutes les équipes de toutes les compagnies ont donné une superbe image de notre marché en s’entretenant avec les réassureurs étrangers, échangeant avec les courtiers étrangers et porté haut les couleurs de leurs compagnies respectives et il faut les en féliciter et leur rendre un hommage appuyé. Par ailleurs, les messages les plus importants véhiculés par la 33éme conférence du GAIF se résument en 03 points : L’Algérie est un marché porteur avec des opportunités énormes ; notre secteur est en train d’opérer sa mue tant sur le plan de la digitalisation que celui de la règlementation ; les assureurs arabes doivent s’unir pour travailler ensemble, donner de la capacité à chacun des marchés, échanger beaucoup plus souvent sur les produits qui nous sont communs notamment dans le domaine des assurances de personnes. Les compagnies d’assurances arabes ont beaucoup à apporter au marché algérien. Les synergies peuvent être légions pour porter le taux de pénétration du secteur à plus de 1% sur le moyen terme et arriver à la moyenne mondiale qui est de 6%. Il faut souligner par-dessus tout l’impérieuse nécessité de construire des ponts entre le régulateur et les compagnies d’assurance pour introduire de nouveaux vecteurs de commercialisation des produits et surtout être toujours à la pointe de ce qui se fait dans l’industrie de l’assurance tout en restant en conformité avec la loi.
Les thématiques débattues lors de cette conférence répondent-elles aux préoccupations des compagnies d’assurances ?
Les sujets à débattre sont tellement nombreux qu’on ne peut pas dire ça, à savoir si les thématiques ont-elles répondu à toutes les préoccupations. En revanche, les débats étaient très importants et du niveau auquel les assureurs aspirent. En effet, quand vous vous enrichissez des expériences des autres compagnies dans d’autres pays et d’autres sociétés vous ne pouvez qu’en être ravis et vous ne pouvez que vous nourrir de précieuses informations au travers de ces présentations. Ainsi, nous avons eu l’occasion d’écouter des experts de très haut niveau comme celle du Président de la SCOR, en l’occurrence Laurent ROUSSEAU qui a fait un brillant exposé sur l’importance des partenariats Publics Privés afin de réduire le différentiel de couvertures. Tout comme la communication de KEEN-TOMLINSON William, le Directeur associé de la prestigieuse société de notation AM BEST, axée sur la nouvelle norme comptable internationale IFRS17 des Contrats d’assurance qui entrera en vigueur au 1er janvier 2023 et ses impacts sur l’industrie de l’assurance, sans oublier la communication du PDG de Swiss Re MEA (Middle East & Africa) portant sur le cyber-risque, les changements climatiques et les pandémies pour donner de la visibilité sur les défis& les opportunités du marché arabe des assurances. Ce sont donc des sujets d’actualité que nous devons apprendre à connaitre, à analyser et à maitriser. Ce sont aussi des sujets sur lesquels nous ne devons pas avoir peur de débattre et d’imaginer dans quelles mesures nous pouvons les appréhender pour les introduire sur notre marché. Et je ne vous ai cité que quelques-unes des thématiques les plus importantes de ce qui a été présenté durant cet évènement majeur pour notre secteur. Pour ainsi dire, oui les thématiques débattues lors de cette conférence ont répondu à bon nombre de préoccupations importantes des compagnies d’assurances.
Vous avez plaidé lors de cet événement en faveur d’une révolution numérique au sein du secteur des assurances pour atteindre les objectifs de qualité et de performance. Selon vous, comment les assureurs peuvent-ils bien négocier le virage du numérique ?
Le secteur des assurances prend très au sérieux le processus de digitalisation qui lui permettra d’effectuer sa mue pour répondre aux exigences de modernité, d’efficacité et de productivité, afin de s’adapter aux nouvelles techniques de souscription, de gestion interne, de gestion des dossiers de sinistres et, enfin, de remboursements.
Ainsi, le secteur des assurances a dépassé la phase de prise de conscience de l’importance de ce processus et est, désormais, dans une phase de transformation de son architecture des systèmes d’information, couplée à la recherche des sociétés éditrices d’ERP (Enterprise Ressource Planning ou Progiciel de Gestion Intégré) qui soient de préférence algériennes et il en existe. Si nous devions faire un bilan d’étape, nous pouvons dire que nous sommes en phase intermédiaire dans la réalisation des objectifs de la transformation digitale des compagnies d’assurance en Algérie. De plus, il est très important de comprendre que cette transformation est aussi soumise à la problématique de la résistance aux changements et que cela doit être accompagné par beaucoup de formations et de pédagogie. Enfin, il s’agit aussi pour les compagnies d’assurances d’aboutir au lancement effectif de l’Open innovation qui permettra l’émergence de sociétés dites InsurTech qui ont une « scalabilité » (un taux de progression) importante permettant, de facto et rapidement, aux sociétés d’assurances d’avoir, un nouveau mode de commercialisation de leurs familles de produits, à travers un canal exclusivement numérique. Pour ce faire, il faut rendre hommage aux efforts de l’Union algérienne des sociétés d’assurance et de réassurance (UAR) et l’ouverture d’esprit de la Direction des Assurances au niveau du ministère des Finances qui ont permis d’avoir une réflexion sur ce sujet, ô combien important, pour l’avenir des startups InsurTech en Algérie. Donc, c’est une stratégie multidimensionnelle à déployer, vitale pour la continuité des services, qui se veulent de qualité, que prodiguent toutes les compagnies d’assurances algériennes et pour se conformer aux normes si le secteur souhaite soutenir les efforts d’exportation des industries et services algériens.
Les mutations technologiques évoluent beaucoup plus rapidement, ce qui met les compagnies d’assurance face à d’importants défis, en raison des décalages et des retards que créent ces mutations technologiques. Quels sont les moyens et voies de nature à réduire ce fossé ?
Très sincèrement, il faut pouvoir imaginer notre propre avenir en tentant de répondre à une question simple : que voulons-nous apporter à la société dans laquelle nous évoluons ? Partant de ce postulat, nous savons qu’en tant que compagnies d’assurance que nous pouvons et nous devons avoir un impact sur nos clients et leur apporter des services qu’ils sont en droit d’attendre et qui soient au même niveau sinon mieux qu’à l’étranger. Ces deux éléments sont potentiellement atteignables si tant est que nous en ayons la vision et que nous nous en donnions les moyens. Pour répondre directement à votre question, pour une compagnie d’assurance le plus important est d’avoir un ERP «Enterprise Ressource Planning » ou progiciel de gestion intégré (PGI) qui permet de gérer l’ensemble des processus d’une entreprise en intégrant tous les processus en partant de la souscription, en passant par l’administration, la comptabilité, la gestion de sinistres jusqu’à l’établissement du bilan et de suivre ses chiffres de production, de sinistres et en réalité l’ensemble de ses KPI en temps réel. Cet ERP doit être couplé à un CRM qui permet une gestion opérationnelle et de qualité de la relation client (KYC et suivi des remontées clients). Les compagnies d’assurance doivent disposer également d’une structure (Business Intelligence) de recherche et développement pour le suivi des dernières évolutions technologiques, la recherche, l’analyse des nouvelles tendances et des nouveaux besoins en assurances, la conception de nouveaux produits et leur adaptabilité sur notre marché. Je peux vous certifier que c’est loin d’être simple tellement que les processus à synthétiser et à développer sont nombreux et complexes et les ingénieurs dans ce domaine sont rares mais ceux-ci existent dans notre pays et sont d’excellent niveau.
Comment voyez-vous la coopération entre les assureurs et le régulateur dans le but d’atteindre les objectifs de numérisation ?
Il faut pouvoir déployer une stratégie qui doit être basée, d’abord, sur une législation incitant à l’adoption d’une politique de numérisation et de digitalisation au sein des organisations par des mesures fiscales et parafiscales.
Cette stratégie devrait être bâtie sur l’audit des systèmes d’informations des compagnies par des ingénieurs et des sociétés algériennes et nous en avons d’excellentes, sur le soutien de l’acquisition de matériels et de solutions (soft) adéquates ainsi que sur l’instauration d’une obligation aux organisations de signer avec les entreprises de cybersécurité dès la première année de leur activité, tout en faisant très attention à organiser les niveaux de sécurité en fonction de la taille des entreprises et le secteur dans lequel elles activent.
On doit aussi donner la priorité aux sociétés algériennes de cybersécurité qui déploieront des stratégies et politiques de sécurité adaptées à nos besoins et, surtout, qui prennent en compte le facteur vital de confidentialité des données, dans notre pays, consacrée dans la Loi n°18-07 du 10 juin 2018 relative à la protection des personnes physiques dans le traitement des données à caractère personnel. Cette stratégie doit être basée, aussi, sur l’obligation de la formation d’ingénieurs, en ce sens, et qui permette de les rémunérer au niveau qui doit être le leur. Elle doit être aussi orientée également vers la construction de ponts entre le législateur et les compagnies pour qu’il y ait des échanges d’informations qui doivent impérativement générer de l’adaptabilité et de l’agilité dans la mise en place des lois et règlements. Le secteur des assurances est naturellement conscient de l’impérieuse nécessité de s’outiller en ce sens, mais faut-il encore lui donner les moyens pour se développer sur la partie digitale, être en osmose avec le législateur et le régulateur et contrer les menaces provenant de la cybercriminalité.
L’Algérie vient d’être élue à la présidence de la GAIF, quel est votre sentiment ?
Une immense fierté évidemment mais aussi une lourde responsabilité parce qu’il va falloir que nous allions plus vite et plus fort dans la modernisation du secteur. Donc en réalité, être élu à la présidence du GAIF, n’est pas une fin en soi mais un début à tout. A nous, toutes et tous ensemble, de se tracer la voie et d’atteindre nos objectifs. Cela passe aussi par le lancement d’au moins une InsurTech agréée comme compagnie d’assurance d’ici les deux prochaines années Incha’ALLAH. Cela serait un signe très fort qui aurait une résonnance à l’international extrêmement puissante pour l’image de notre marché, notre secteur et notre pays.
H. N. A.