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Coopération et intégration régionale : Le rôle des banques centrales décortiqué par leurs gouverneurs

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Faciliter la coopération entre banques centrales serait bon pour faire face aux chocs extérieurs de plus en plus récurrents. La mutualisation des moyens et des expériences permet de faire face aux risques et rendre les banques plus outillées en termes de moyens et d’ingénierie monétaire. Ce sont là quelques conclusions auxquelles est parvenu le panel animé par des responsables des banques centrales et des institutions monétaires arabes et africaines à l’occasion de la journée commémorant les 60 ans de la Banque d’Algérie, ayant eu lieu à la mi-décembre 2022, à Alger.

Par Hacène Nait Amara

Le choc pandémique des deux années 2020 et 2021 a mis à rude épreuve les banques centrales et les institutions monétaires internationales qui redoublaient d’ingéniosité pour amortir le choc et ses conséquences sur les économies. La pandémie était aussi un stress test pour l’ensemble des institutions financières, titillant leurs capacités à faire face à la crise et à mobiliser les outils de leurs politiques monétaires pour y remédier. Le panel réunissant les responsables des banques centrales et des institutions monétaires internationales a mis sous les feux de la rampe le sujet de la crise sanitaire et le rôle de ces institutions monétaire dans la prise en charge des risques y afférents et dans l’amortissement de son impact sur l’économie. Un exercice de haute voltige auquel se sont prêtés volontiers les patrons des banques centrales et des institutions monétaires arebes et africaines présents à la journée commémorative des 60 ans de la Banque d’Algérie. Et c’est Abdulrahman Alhamidy, président directeur général du Fonds monétaire arabe qui a ouvert le bal. Ce dernier a tenu, d’abord, à souligner que la zone arabe est la seule à disposer d’un fonds multilatéral la concernant. « L’existence de ces institutions de financement régionales est un facteur d’unité et d’unification économique et financière dans le monde arabe ». En réponse à la question soulevée dans le débat, Abdulrahman Alhamidy estime, avec conviction, que Le Fonds monétaire arabe était déjà disposé à affronter les conséquences de la crise sanitaire dès son apparition, en apportant soutien financier aux économies arabes, dont la valeur a excédé les 2 milliards de dollars. Le soutien était également technique en actionnant l’ensemble des leviers monétaires en faveur des économies des pays arabes. Ce soutien technique, précise le patron du Fonds monétaire arabe, se traduit par l’organisation de plus de 70 sessions de formation au profit des banquiers et financiers de l’ensemble des pays membres du Fonds. Les activités de cette institution, qui a bénéficié du soutien de tous les gouvernements, ont permis un échange d’informations et d’expérience quant aux mécanismes et politiques monétaires dédiées à amortir le choc pandémique. « Le soutien aux travaux de notre institution par les autorités publiques de l’ensemble des pays arabes était primordial et l’Algérie a joué un grand rôle dans ce soutien à notre institution et à nos pays durant la crise sanitaire », souligne Abdulrahman Alhamidy.

Crises multiples, réponses multiples

Quant à Jean-Claude Kassi Brou, Gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dont l’institution vient de fêter également ses 60 ans d’existence, qui a abordé la question des défis de la politique monétaire et de l’intégration régionale, a souligné que les différents chocs (économique, sanitaire, climatique, sécuritaire…) qu’ont subi les pays de l’Afrique de l’Ouest ont renforcé la nécessité d’une parade commune face à ces défis. Il s’était agi, notamment d’accompagner et de soutenir la relance particulièrement pendant la période de la crise sanitaire, en apportant de la liquidité additionnelle qui a permis aux Etats de la région de faire face à des situations difficiles, mais aussi un refinancement important à travers ce qui était appelé les obligations de relance, destinées à relancer les économies affectées par le choc pandémique. « Ces mécanismes, matérialisés en guichets spéciaux que la Banque centrale a rouvert, étaient destinés pour soutenir les pays dans la relance de leurs économies », explique Jean-Claude Kassi Brou, convaincu que la coopération financière et monétaire transfrontalière favorise une action plus efficace face aux chocs externes de grande ampleur, à l’image du choc pandémique des deux années 2020-2021. Selon lui, dans un contexte de faible pression inflationniste, tournant autour de 3,5%, son institution a pu mettre en place un programme de soutien massif aux économies de l’Afrique de l’Ouest. Cependant, en 2022, en période de forte fièvre inflationniste (8% en moyenne), résultant de la conjugaison de plusieurs chocs, la donne a complètement changé et l’une des priorités que s’est fixées la Banque centrale des pays de l’Afrique de l’Ouest était de stabiliser cette inflation et surtout la maitriser, tout en soutenant la dynamique de croissance qui s’était maintenue autour de 5,5% dans la région et, par la même, préserver la stabilité financière, explique Jean-Claude Kassi Brou.

Depuis six mois, son institution a commencé, à cet effet, à relever ses taux pour atteindre 2,75% aujourd’hui. Le patron de la BCEAO soutient, sur sa lancée, que le système financier de la région demeure assez résilient avec, au tableau, un taux de solvabilité et de rentabilité assez acceptables. « La dynamique est bonne et le secteur bancaire continue à se développer, mais ce que nous souhaitons est de renforcer notre collaboration et notre coopération avec les autres pays arabes. Nous avons pour cela introduit la finance islamique. Je suis doublement heureux car il y a depuis peu un consortium de banques algériennes qui a manifesté son intérêt pour notre marché en introduisant une demande d’ouverture d’une banque. Il s’agit pour nous d’une étape importante car lorsqu’une banque s’implante dans un pays, les entreprises y suivent. Nous sommes totalement ouverts pour le renforcement de cette coopération avec les pays du monde arabe, notamment avec l’Algérie », se réjouit le patron de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Préservation de l’unité du système bancaire palestinien

Pour sa part, Feras Milhem, gouverneur de l’Autorité monétaire palestinienne, qui a évoqué l’expérience de son institution dans la gestion des différentes crises, en maintenant le cap malgré les conditions difficiles, a reconnu que la question de poursuivre le travail de son institution était toujours posée, même avant que la pandémie se diffuse à travers le monde, étant donné les conditions complexes auxquelles fait face l’Autorité monétaire palestinienne. « Le travail de prospective et de prévisions que fait notre institution nous permet de faire face aux risques futurs. Grâce à ce travail, nous avons pu préserver l’unité du système bancaire de notre pays. Le choc pandémique était pour nous une leçon et un test auxquels nous avons destiné une série de mesures pour amortir le choc et dépasser la crise », explique Feras Milhem, assurant que le système bancaire palestinien a retrouvé ses niveaux de rentabilité et de croissance d’avant la crise grâce à ces mesures d’amortissement et de sauvegarde prise par l’Autorité monétaire palestinienne en collaboration avec les institutions financières palestiniennes, dont la création d’un fonds de soutien aux projets affectés par la crise ainsi que la relance des crédits et la disponibilité de la liquidité. « Nous avons pu soutenir 2400 projets en plus des petits projets. Cette mesure s’est révélée très positive d’autant plus que 20% de ces projets étaient conduits par des femmes. Et le fait se rendre compte que nous sommes sous occupation et, de ce fait, l’un des plus grands défis qui se pose à nous est d’assurer la continuité du travail et le développement de nos outils face à d’éventuels risques », soutient le gouverneur de l’Autorité monétaire palestinienne. Plus important encore, Feras Milhem dit se préparer et préparer son institution en faveur d’une réforme générale du système bancaire palestinien pour laquelle une commission est actuellement en cours de création. Selon lui, cette réforme est nécessaire pour la stabilité et la résilience du système bancaire palestinien même si tous les indicateurs étaient au vert. Feras Milhem explique également que la crise sanitaire a accéléré les visions et les projets au profit de la transformation digital du secteur bancaire et la réduction de l’usage du cash, annonçant le lancement sous peu d’un système de facturation électronique.

L’inflation, une nouvelle pandémie pour les banques centrales

Quant aux contraintes et enjeux qui se posent de manière générale à nos banques centrales en matière de stabilité financière, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abassi, estime que les deux défis principaux de nos banques se rapportent à la stabilité des prix et la lutte contre l’inflation et la stabilité financière. « Lorsque je suis venu en 2018, il y avait une inflation sous jacente de 9% et un taux d’intérêt directeur de 5%, une inflation de 7% et un refinancement qui a atteint 17 milliards de dinars tunisien. Une des réponses que nous avons apportées à cette situation était d’augmenter les taux et de déprécier le dinar car le plus important était de faire baisser les prix. Avec l’arrivée de la crise sanitaire, nous avons oublié un peu l’inflation pour se concentrer sur le soutien à l’économie à travers un mécanisme de rééchelonnement en fonction de nos capacités », détaille le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, comme pour dire la complexité de la situation dans laquelle étaient empêtrées les banques centrales face à la montée de l’inflation et les conséquences de la crise liée au Covid-19. « La banque centrale était là pour faire le travail que les gouvernements ne pouvaient pas faire », soutient Marouane El Abassi, plaidant en faveur de l’intégration régionale et la coopération entre les banques centrales du Maghreb, de l’Afrique et de la région MENA pour faire émerger des économies solides et résilientes face aux chocs externes de plus en plus violents et de grande ampleur.

Le capital humain : Un enjeu capital pour les années à venir, selon le gouverneur de la Banque d’Algérie

Pour finir en beauté, la communication du gouverneur de la Banque d’Algérie était très attendue et c’était lui qui devait clôturer les travaux de ce panel, dont les débats étaient à la hauteur des défis posés.

Salah Eddine Taleb, qui a tenu, d’abord, à remercier l’ensemble de ses invités qui ont tenu à célébrer avec son institution ses 60 ans d’existence, tout en se félicitant de la pertinence des interventions et de la qualité des débats, a préciser que les choix de ces sujets soumis à débats n’était aucunement fortuit, mais répond à des défis et enjeux liés à la conjoncture actuelle. La politique monétaire et ses outils de pilotage, les crises et les réponses qui étaient mises en branle pour y remédier, les compétences locales et l’ingénierie des jeunes talents pour faire face à ces crises…sont, de l’avis du gouverneur de la Banque d’Algérie, Salah Eddine Taleb, autant de sujets d’une pertinence avérée et d’une importance capitale pour relever les défis de la conjoncture et se préparer aux enjeux de demain. « Le capital humain sera la principale ressource pour faire face aux crises, indépendamment des richesses minières et énergétiques que recèlent nos pays. Le capital humain constitue à plus forte raison l’enjeu capital pour les années à venir. Aujourd’hui, lorsque nous parlons de politique monétaire, nous évoquons bien évidemment l’inflation, étant un sujet d’actualité ». A ce propos, Salah Eddine Taleb a souligné, à juste titre, que le défi actuel pour les banques centrales dans le monde est le renforcement de la coopération bilatérale et multilatérale, rendue nécessaire par les effets encore palpables de la crise sanitaire sur l’économie mondiale. Il a noté, à cet effet, que le monde est rentré dans une « nouvelle pandémie qu’est l’inflation » avec des taux extrêmement élevés, poussant les banques centrales à travers le monde à augmenter leurs taux, ajoutant que « chaque pays doit trouver les remèdes à cette situation en fonction de ses spécificités ».

« Pour les perspectives, je pense qu’on doit trouver les solutions à travers la coopération bilatérale et multilatérale entre banques centrales avec des échanges d’expériences et tirer profits des solutions appliquées ailleurs, et les échanges d’expertises pour pouvoir intervenir dans des périmètres plus larges », a conclu Salah Eddine Taleb, gouverneur de la Banque d’Algérie.

H. N. A.

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