Dans cette interview, le président du GAAN (Groupement algérien des acteurs du numérique) fait le bilan des activités de cette association dont il est en fin de mandat. Tadjeddine Bachir analyse pour nous à la même occasion les avancées réalisées en matière de numérisation en Algérie. GAAN se projette désormais à l’international en réorientant le gouvernail vers l’internationalisation de ses activités et en lorgnant vers les marchés extérieurs.
Interview réalisée par Hacène Nait Amara
Vous venez de parachever votre mandat à la tête du GAAN, quel bilan tirez-vous de cette expérience et quelles sont les principales réalisations à mettre en évidence sur ces trois dernières années ?
Le groupement algérien des acteurs du numérique (GAAN) est né début 2020, trois ans se sont écoulés depuis sa naissance et j’ai eu l’immense honneur de le présider.
Durant ces 3 dernières années, nos accomplissements ont dépassé de loin nos attentes, que ce soit du point de vue de l’accueil de notre initiative ou de la reconnaissance de nos actions, aussi bien par les acteurs de l’écosystème numérique algérien, que par les pouvoirs publics. Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de gens partageaient notre vision de ce vers quoi devrait tendre le secteur et avons à notre tour accueilli à bras ouverts toutes les initiatives allant dans le sens de nos ambitions, pour le développement du secteur et de ses impacts sur la vie des citoyens de notre pays.
En tant que Président sortant, je suis fier d’avoir fait partie d’un effort collectif qui nous a permis de devenir un acteur incontournable de la scène numérique en Algérie et au-delà. Nous avons acquis une légitimité et une reconnaissance auprès des pouvoirs publics, des acteurs du numérique ou encore des organisations internationales.
Cette histoire de réussite n’a été possible que grâce à l’engagement et au dévouement de tous nos adhérents et surtout des membres du conseil d’administration qui m’ont soutenu tout au long de mon mandat. Grâce à leur travail acharné, à leur détermination et surtout à leur désintéressement, nous avons pu construire une base solide pour le GAAN et l’amener là où il est aujourd’hui.
Nous avons tant fait en si peu de temps, je citerai à titre non exhaustif :
• La production de plus de 14 publications entre livres blancs, études et articles.
• L’organisation et parrainage de plus de 30 événements entre forum, conférences, webinars et salons en présentiel dont un d’envergure africaine : le Digital African Summit
• La signature d’une dizaine de conventions avec des partenaires nationaux et internationaux
• Une vingtaine de Rencontres et de concertation avec les pouvoirs publics.
• Une présence importante dans les médias (TV, Radio, presse écrite et électronique) pour vulgariser et simplifier les concepts aux citoyens.
• Un déplacement d’une délégation à Marseille et Paris.
Pour moi, la plus grande réussite de notre groupement a été de gagner la confiance de nos membres.
Ce fut un voyage passionnant que nous avons l’intention de poursuivre ensemble sous la nouvelle présidence de M. Abdelouahab GAOUA qui, j’en suis convaincu, apportera du sang nouveau et de nouvelles idées au GAAN.
Comment analysez-vous l’évolution et le développement de la numérisation et des nouvelles technologies en Algérie?
Avant la création du ministère de la numérisation et des statistiques il n’y avait aucune autorité dédiée à la transformation digitale en Algérie, chaque administration opérait indépendamment des autres, cette méthode de travail en solo va à l’encontre de la transversalité du numérique,
Avant la création du ministère de la numérisation et des statistiques, l’Algérie ne disposait pas d’une autorité centralisée dédiée à la transformation numérique. Chaque agence gouvernementale faisait sa propre transformation numérique indépendamment des autres. Cette approche cloisonnée était contre-productive car l’interconnexion entre les différentes administrations étaient inexistante. Il se trouve quand même qu’il y ait eu certains succès et avancées qu’il faudrait citer et qui peuvent constituer des briques pour la mise en œuvre du e-Gouvernement :
Le registre national de l’état civil numérisé:
Le ministère de l’intérieur a réussi à numériser 100% du fichier national des actes de naissance ce qui permet aujourd’hui au citoyen de se faire délivrer son acte de naissance par voie informatique et de n’importe quelle commune alors que dans le passé il était obligé de se déplacer vers la commune de naissance pour le retirer.
La CNIBE
En continuité à l’informatisation de l’état civil, le ministère de l’intérieur s’est doté d’une solution qui permet de produire et d’offrir au citoyen enregistré sur ses bases de données une Carte Nationale d’Identité Biométrique Electronique, elle offre un niveau de sécurité physique et logique très élevé ce qui la rend infalsifiable, elle est équipée de deux microprocesseurs, les informations d’état civil du porteur sont stockées dans la carte, ces informations peuvent être lues par un simple lecteur NFC (Near Field Communication).
En plus du code PIN qui n’a jamais été délivré, elle est équipée aussi de la technologie Match-on-Card qui remplace le code PIN par un simple toucher sur un capteur d’empreintes digitales : la CNIBE permet une vérification des empreintes en offline. Plus de 60% de la population ont été enrôlé, c’est un travail colossal qui a été réalisé et qui consiste à prendre les empreintes digitales du citoyen, de le prendre en photo puis associer la photo et l’empreinte à son enregistrement dans la base de données de l’état civil.
La signature électronique :
La signature électronique qui est la clé de voute de tout transformation digitale est désormais disponible et opérationnelle avec un cadre juridique pour l’accompagner. Le législateur a décrit le schéma national de certification électronique et a institué son modèle organisationnel composé de trois (03) Autorités de Certification Électronique comme suit :
Autorité Nationale de Certification Électronique (ANCE) créée auprès du Premier Ministre,
Autorité Gouvernementale de Certification Électronique (AGCE) créée auprès du ministre de la Poste et des télécommunications : chargée de la partie gouvernementale.
Autorité Économique de Certification Électronique (AECE) confiée à l’Autorité de Régulation de la Poste et des Communications Électronique (ARPCE) : chargée de la partie économique.
L’Autorité Gouvernementale de Certification Electronique (AGCE) a obtenu les sceaux de certification de conformité aux référentiels WebTrust for CA, Webtrust BR SSL et WebTrust for Code Signing,
Infrastructure internet :
Selon les derniers chiffres du rapport international DataReportal, 60.6% des Algériens sont connectés à internet.
Il faut reconnaitre qu’il y a eu une amélioration significative dans la qualité de l’internet fixe notamment suite aux augmentations du débit minimum opérées durant cette année qui est passé de 2 mégaoctets à 10 mégaoctets sans en augmenter les tarifs.
L’Algérie a également augmenté sa bande passante internationale à 7,8 térabits/seconde contre 2,8 tb/s en 2021 et 1,5 tb/s en 2020.
Les 3 opérateurs mobiles offrent aussi une connexion internet et couvrent la population qui n’a pas de connexion filaire, sachant qu’on est à 103% de taux de pénétration pour les cartes SIM.
ATS (Algérie Télécom Satellite) couvre quant à elle les régions non couvertes par la fibre et le mobile.
Même s’il y a encore une marge importante d’amélioration de la qualité d’internet, le niveau de performance de l’infrastructure actuelle est largement suffisant pour permettre le développement de services en ligne. Il faut donc tirer profit de ce que permet l’infrastructure dont dispose le pays et continuer à l’améliorer.
E-services
Quelques administrations et ministères ont réussi à proposer des e-services pour le citoyen, toutefois dans la plupart des cas la dématérialisation de la démarche administrative n’est pas réalisée à 100% car elle nécessite des documents au format papier ou le déplacement du citoyen.
Je ne peux que saluer toutes les avancées que nous avons faites. Malgré les progrès significatifs réalisés ces dernières années, il reste des obstacles qui doivent être surmontés avant de pouvoir progresser davantage. Parmi ces obstacles, les plus urgents sont :
La multiplication des plateformes gouvernementales
Le citoyen se trouve perdu dans cette multitude de plateformes et de services qui possède chacune une charte graphique différente et qui nécessite chacune des identifiants d’accès différents.
La quasi-inexistence de l’interopérabilité
Le travail en silo, le manque de coordination, l’hétérogénéité des technologies et parfois la peur de partager des données a fait en sorte qu’il n’y ait pratiquement aucune interopérabilité entre les différentes agences gouvernementales.
L’absence d’une stratégie citizen-centric
Beaucoup de projets de transformations ont été lancés en consommant des budgets importants avec comme objectif d’informatiser la gestion interne des administrations sans se soucier de l’interface avec le citoyen, ce qui a ajouté de la complication à la relation avec le citoyen à qui on a encore demandé de la paperasse pour mettre à jour son dossier dans le nouveau système.
Recours au document papier
La non-utilisation de la signature électronique et la culture du « document papier qui fait foi » par manque de confiance restent un obstacle de taille qui empêche l’administration de faire le saut dans l’ère du tout digital.
Il est donc primordial de Mettre en place une équipe intergouvernementale avec un certain degré d’autonomie et d’indépendance pour une approche transversale et éviter les cloisonnements au sein des différents ministères.
Quelles démarches et quelles réalisations restent encore à mener et à concrétiser à travers l’action du GAAN, selon votre expérience à la tête de ce groupement?
Après 3 ans de travail acharné, le moment est venu pour commencer une nouvelle ère. Nous allons nous concentrer davantage sur nos membres en leur proposant des projets, en les aidant à mettre à niveau les compétences techniques de leur personnel, en favorisant et en renforçant les relations et la proximité entre eux, et tout ce qui aide leurs entreprises à prospérer et s’épanouir.
Nous allons aussi faire évoluer les actions du GAAN en leur donnant une dimension internationale, et faire valoir les compétences de nos membres auprès des marchés internationaux aussi bien en Europe qu’en Afrique.
Je n’en dirai pas plus, je laisserai le nouveau Président présenter son plan d’actions dans les jours qui suivent.
Le dernier forum du GAAN a consacré un large débat au développement des DATA CENTER. Où en est l’Algérie en ce domaine clé?
Investir dans des centres de données en Algérie peut être un créneau très rentable. La nouvelle loi sur l’investissement offre de nombreux avantages aux investisseurs et le prix très compétitif de l’énergie en fait une option encore plus attractive sachant que les data center sont très énergivores.
La proximité avec l’Europe, la bande passante internationale, le vivier d’ingénieurs et techniciens dont dispose notre pays sont des atouts non négligeables qui font de l’Algérie une destination attrayante pour les grandes entreprises mondiales du secteur technologique.
Cela pourrait ouvrir de nouvelles opportunités de croissance économique, une création d’emplois et des recettes en devises, toutefois il faut faire des actions marketing sérieuses et soutenues pour vendre la destination Algérie aux investisseurs, chose que nous prenons toujours à la légère alors que ce ne peut être fait sans l’aide de professionnels, car cela nécessite des compétences et des connaissances spécialisées. Il faut vraiment mettre en place une stratégie marketing et un plan d’actions à court et moyen terme pour espérer attirer des investisseurs.
Quelle cartographie peut-on établir aujourd’hui sur l’écosystème du numérique en Algérie? Quels en sont les principaux acteurs et quels autres acteurs peuvent y jouer un rôle pour un meilleur développement de ce segment stratégique?
La chaîne de valeur numérique est si large de par ses services (Fournisseurs d’accès internet, Hébergeurs, Data Centres, Agences de développement web, intégrateurs de solutions, sécurités, paiements électroniques, mais aussi fabricants de hardwares …) et complexe de par les tierces acteurs économiques et administratifs desquels dépendent les évolutions de ces services (différents organes étatiques organisant la législation du secteur, acteurs bancaires, fonds d’investissements, incubateurs … etc) qu’il est quasi-impossible d’en définir une cartographie exhaustive. Vous l’aurez compris, il n’y a pas de petite initiative, tout acteur aussi petit soit-il de par la taille est important pour l’enrichissement de notre écosystème, mais c’est bien entendu, le législateur qui reste l’acteur le plus important et avec le plus d’impact sur le secteur. Bien des actions ont été initiées par les pouvoirs publics auxquelles nous avons eu la chance de participer, d’autres doivent suivre et nous continuerons à nous positionner comme porte-voix des acteurs du numérique et comme fenêtre sur notre secteur pour les institutions gouvernementales le régissant, afin d’apporter notre contribution au développement d’une économie numérique en adéquation avec les attentes de ses acteurs, pour mieux servir les citoyens que nous sommes.
Selon vous, l’Algérie est-elle aujourd’hui en bonne voie pour parachever sa transformation digitale surtout que le président de la République, a, lors de sa dernière rencontre avec les médias, insisté sur la nécessité d’achever le chantier de la numérisation pour lutter efficacement contre l’opacité qui règne encore dans certains secteurs ?
Le monde d’aujourd’hui devient de plus en plus numérique et interconnecté. Pour rester compétitif, faire de la croissance, créer des opportunités d’emploi pour ses jeunes citoyens ou diversifier son économie, l’Algérie doit être en mesure de capitaliser sur les opportunités offertes par les technologies numériques.
En tant que professionnel, je peux attester que la volonté politique de mener à bien la transformation numérique de notre pays est présente et très perceptible. En témoigne le nombre de fois où elle a été mentionnée dans les discours du Président de la République. Pour rappel, au cours de sa campagne électorale, le président a pris 54 engagements envers ses électeurs. L’un de ces engagements était le numéro 25, qui stipulait
«Réaliser une transformation numérique pour améliorer la communication et vulgariser l’usage des technologies de l’information et de la communication, notamment dans les services publics, et améliorer la gouvernance du secteur économique.»
Nous saluons cette orientation de l’exécutif; cependant, pour qu’elle soit vraiment efficace, des mécanismes pratiques doivent être mis en place pour assurer son application sur le terrain. Il est nécessaire de trouver des moyens de garantir que la volonté politique de l’exécutif se traduise par des résultats tangibles.
Il faut aussi mener un combat contre certains responsables véreux qui bloquent volontairement le processus de transformation digitale et préfèrent rester dans l’opacité pour en tirer des avantages personnels. Le numérique apporte de la transparence qui prévient les comportements malhonnêtes et contraires à l’éthique de certains corrompues
Pour aller sur cette digitalisation et ce niveau de transparence il faut avoir une vision claire, une stratégie solide, une coordination accrue entre les différents secteurs et acteurs gouvernementaux, ainsi qu’un investissement continu dans les infrastructures et les services numériques. Et compte tenu des capacités humaines et matérielles dont dispose l’Algérie, je suis convaincu que nous avons le potentiel de faire de grands progrès dans ce domaine.
H. N. A.