Elle avait effectué, en 2005, l’une des premières opérations de paiement électronique sur TPE, Assia Benchabla-Queiroz, cheffe de division au GIE Monétique, revient dans cette interview sur le parcours du paiement électronique depuis cette date-là. Selon elle, des retards ont été accumulés, certes, mais la création de GIE Monétique a insufflé une nouvelle dynamique à l’activité de digitalisation des moyens de paiement qui, jadis, relevait des seules prérogatives de la SATIM et des banques. Ce n’est pas assez, puisqu’elle plaide en faveur de l’avènement de l’intégration d’autres acteurs, dont les prestataires de services et les établissements de paiement non bancaires Pour cela, des moyens légaux doivent être mis à la disposition de ces établissements. D’autres évolutions réglementaires sont nécessaires, selon Assia Benchabla-Queiroz, dont la modification de la loi sur la monnaie et le crédit. Elle estime qu’il est nécessaire de renforcer la structure pour pouvoir massifier les moyens du paiement électronique.
Interview réalisée par Hacène Nait Amara
Vous êtes à la tête d’un service qui coordonne et supervise le travail des quatre pôles de GIE Monétique, quel bilan faites-vous de cette coordination, aussi bien en amont, à la conception des produits et services e-paiement, qu’en aval après leur mise en service ?
Concrètement, l’organisation en quatre pôles, tel qu’elle est faite aujourd’hui, a fait ses preuves, dans le sens où chaque projet et défini en amont avec précision de son impact sur les différents segments d’activité. A titre d’exemple, le projet de paiement sans contact, qui est un nouveau mode de paiement, lorsqu’il est identifié comme un nouveau projet, il faut définir ses spécifications, l’impact sécuritaire et son homologation et dans la phase de mise en service de ce nouveau produit, il faut déterminer les règles de lutte antifraude. Les quatre pôles de GIE Monétique sont ainsi impliqués dans la mise en place de ce nouveau produit. Cette organisation, le fait de l’avoir découpé en quatre pôles d’activité, est très important pour la coordination et la mise en œuvre du projet. Cette organisation a été efficace et pertinente. C’est le bilan que nous puissions faire de cette manière de travailler en coordination.
Comment cette coordination se fait-elle concrètement ? Y aurait-il un conseil de coordination qui réunit des cadres de chacun des quatre pôles de GIE monétique ?
En fin d’année de chaque exercice, nous élaborons le plan d’action de l’exercice suivant, où nous identifions tous les projets que nous comptons mettre en œuvre. Ces projets peuvent être aussi bien petits que de grands projets d’envergure. Nous identifions ensuite toutes les spécifications de ces projets et nous les affectons aussitôt aux chefs des pôles. Un chef de pôle est responsable de ce fait d’un projet, même si tous les autres y sont impliqués aussi. Après cette affectation, chacun dispose de sa propre feuille de route, intégrant aussi bien des projets qui concernent le pole même ou bien impliquant les autres pôles notamment lorsqu’il s’agit de nouveaux produits impactant la place. Une fois que chacun des quatre pôles dispose de sa feuille de route, validée en début d’exercice, il entame aussitôt sa réalisation. Le suivi se fait par des points de situation mensuels destinés à faire remonter les informations sur l’état d’avancement des projets.
Etes-vous confrontés par moments à des situations de blocage dans la réalisation des projets ?
En effet, nous sommes souvent confrontés à des situations de blocage, surtout lorsque le projet implique une partie tierce. Les banques sont à des niveaux d’informatisations très éparses et de ce fait l’impact d’un projet sur les banques est différent selon les établissements. Certaines banques peuvent être conformes et au rendez-vous dans des délais très courts, d’autres prennent du temps, ce qui retarde la concrétisation d’un projet. Le plus grand problème consiste à faire intervenir les éditeurs des banques. Il y a des projets qui ont un impact interbancaire, nécessitant la conformité de l’ensemble des banques. Et c’est là où se situe réellement la difficulté.
Comment se fait l’autre coordination avec les autres acteurs du e-paiement, à savoir les banques et la SATIM ?
Nous, lorsque notre plan d’action est validé par les instances dirigeantes de GIE Monétique, il est présenté aux opérationnels des banques pour qu’ils anticipent en interne sur les impacts sur leur propre activité. Nous créons ensuite un comité interbancaire pour chacun des projets figurant sur le plan d’action, piloté par un des chefs des pôles de GIE Monétique pour faire avancer les travaux. SATIM est souvent impliquée, bien évidemment, parce que techniquement et technologiquement tout se passe chez la SATIM.
Vous avez effectué, en 2005, l’une des premières opérations de paiement électronique sur TPE. Quel regard portez-vous sur le paiement électronique depuis cette date-là ?
En effet, c’était moi qui avais fait la première opération ! Il est clair que depuis cette date-là, nous avons accusé un retard. Cela est incontestable. Durant ces dix années, le paiement électronique est resté à l’état embryonnaire, voire une affaire de techniciens pour plusieurs raisons. Initialement, le paiement électronique n’a pas été réfléchi en tant qu’une réforme globale, mais il était conçu comme un simple projet intégré dans les missions de la SATIM et des banques. Le paiement électronique ne se résume pas à une affaire d’équipement, de cartes CIB et de TPE, d’ATM…etc, mais il s’agit plutôt d’un changement radical du comportement de la société. Le point bloquant du paiement électronique est le commercant. L’inclusion financière des commerçants est quasiment insignifiante. La création de GIE Monétique a donné un nouveau souffle à cette réforme. Le paiement électronique est devenu ainsi une affaire du gouvernement qui en voit l’outil idoine pour lutter contre l’informel, lequel est favorisé, bien évidemment, par l’usage du cash dans les transactions. Le gouvernement a compris très tôt que la première action à mener était d’intégrer la sphère publique dans le paiement électronique pour montrer la voie. Ce pourquoi, dans le plan de développement que nous avons mis en place avec le ministère des Finances, il était question d’intégrer la sphère publique en priorité. Maintenant que le projet de l’e-paiement est porté par le gouvernement, les choses bougent dans le bon sens.
Certainement, les marges de progression sont encore énormes pour le e-paiement en Algérie. Comment voyez-vous les perspectives de ce marché à court et moyen terme ?
Nous, en tant qu’organe de régulation, nous ne le voyons pas sous le prisme du marché, mais plutôt comme un outil d’inclusion financière et de régulation de l’économie nationale. Pour avoir une économie saine, il faut passer par la digitalisation des moyens de paiement et les processus d’encaissement. C’est clair, net et précis. Nous sommes en train de travailler sur la diversification des moyens de paiement car ce qui a existé jusqu’ici est la carte bancaire. Celle-ci est devenue assez coûteuse et dont l’acquisition est assez problématique compte tenu de la crise mondiale des semi-conducteurs et des composants qui sont nécessaires pour sa fabrication. Notre plan de développement jusqu’en 2024 porte, entre autres, sur le projet d’équiper les commerçants et les clients en terminaux de paiement et en cartes. Les objectifs du gouvernement en la matière sont clairs : il s’agit de délivrer 16 millions de cartes bancaires et équiper 900.000 commerçants en moyens de paiement. Le plan de développement porte des objectifs quantitatifs et qualitatifs, dont la sécurisation de la plateforme et optimiser sa performance. Il nécessaire de renforcer de l’infrastructure pour pouvoir massifier les paiements électroniques.
Y aurait-il des changements et des réformes à mettre en œuvre afin de voir ce marché progresser davantage ?
Toujours dans le cadre du plan de développement, nous avons désigné des équipes qui sont chargées de travailler sur plusieurs segments d’activité. Nous nous sommes intéressés à la réglementation pour savoir quels seraient les changements et les modifications réglementaires nécessaires à la dynamisation du secteur. Nous avons identifié plusieurs réformes, dont le changement de la loi sur la monnaie et le crédit pour l’introduction de nouveaux acteurs tels que les facilitateurs de paiement qui sont des prestataires de services et des établissements de paiement. Ces établissements sont nécessaires pour la dynamisation de l’activité, étant donné que le paiement électronique sera le cœur de leurs métiers. Pour cela, la loi sur la monnaie et le crédit est en cours de modification et nous espérons également que la Banque d’Algérie va revoir ses exigences en termes de règles appliquées à l’ouverture des comptes bancaires pour permettre à ces prestataires de services de pouvoir ouvrir des comptes légers et plafonnés pour leurs clients. Ce sont des comptes qui seront bien évidemment sécurisés et dont la gestion des risques et la lutte antifraude sont prises en compte. Dit autrement, ces nouveaux établissements doivent disposer des moyens légaux pour pouvoir devenir des prestataires de services et contribuer à la dynamisation du e-paiement en Algérie.
H. N. A.