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Ali Daoudi, agroéconomiste et chercheur à l’École nationale supérieure d’agronomie : « L’agriculture nationale a réalisé des performances appréciables »

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Ali Daoudi, expert en agroéconomie, aborde à travers cet entretien les évolutions récentes que connaît l’agriculture nationale, tout en analysant les enjeux liés à la nécessité d’accélérer le développement et la modernisation de certaines filières stratégiques telle que la céréaliculture, ainsi que les opportunités d’investissements et de partenariats que peut offrir ce secteur aux opérateurs étrangers. 

Entretien réalisé par A. Boabdil

Vous avez pris part en mars dernier aux travaux des «Rencontres Algérie», organisées par Business France à Paris. Que faut-il retenir de cet événement quant aux potentialités de partenariat et d’investissement en Algérie ?

Ce que l’on peut retenir en premier lieu est d’abord une ambiance  positive et une image assez favorable de l’économie algérienne auprès des opérateurs français. L’on retient également un réel intérêt et une confiance par rapport aux indicateurs de l’économie algérienne comparée aux économies de la région. J’ai été agréablement surpris par la vision plutôt positive de tous les intervenants, qu’ils s’agisse d’institutionnels ou d’opérateurs économiques et par l’intérêt qu’ils portent, chacun dans son secteur, pour explorer le marché algérien pour certains et consolider leurs activités déjà engagées en Algérie pour d’autres. L’économie étant liée à l’état esprit des entrepreneurs, la confiance des opérateurs à l’égard du marché algérien était perceptible lors de cette rencontre.

Comment analysez-vous l’évolution du secteur agricole en Algérie, au regard notamment de la nouvelle politique mise en place par les pouvoirs publics pour développer certaines filières stratégiques, telle que la céréaliculture?

Le secteur agricole national a réalisé des performances  appréciables. Le bilan des vingt dernières années est positif. Il reste encore beaucoup à faire, mais il y a tout de même un bilan globalement favorable du point de vue des indicateurs de production par exemple. Ces indicateurs nous montrent en effet que sur vingt ans, nous avons multiplié par quatre les volumes produits pour la pommes de terre et autres légumes. La production de certains fruits, comme les oranges, a augmenté de près de 2%, celle des dattes a été multipliée par deux et pratiquement toutes les filières ont connu un taux de croissance positif, ce qui est considérable. Même les filières céréales et lait ont évolué positivement, mais leur taux de croissance n’est pas à encore à la hauteur de la croissance de la demande qui s’est faite en parallèle, car il y a eu une forte augmentation de la population. Nous sommes passée de pratiquement 31 millions d’habitants en 2000 à près de 45 millions aujourd’hui, soit un écart de 14 millions ce qui est énorme en termes d’augmentation de la demande sur les produits alimentaires. Globalement, sur certaines filières, la forte croissance de la production a réussi à  suivre celle de la demande ce qui fait par exemple qu’aujourd’hui nous sommes relativement autosuffisants pour les légumes et certains fruits. Par contre, pour d’autres filières comme les céréales et le lait, le déficit reste important et nous sommes restés de gros importateurs, sans parler également d’autres filières où il n’y a pas de production locale, tel que le sucre ou encore les huiles végétales, où nous ne produisons que l’équivalent de 12% des besoins nationaux, ce qui correspond surtout à la production locale d’huiles d’olives. Les huiles de tables à base de soja ou de tournesol sont totalement importées, car même s’il y a une forte industrie locale de transformation, la matière première reste importée.

Qu’en est-il des progrès que connaît ce secteur durant ces deux dernières années?

Dans l’ensemble, il faut souligner que le secteur agricole national a réalisé deux décennies de croissance appréciable. Sur ces deux ou trois dernières années, l’économie agricole a d’abord été impactée par le contexte de la pandémie du Covid-19. Un premier choc qui nous a rappelé que la rente pétrolière est fragile et que nous avons des faiblesses évidentes dans notre système de sécurité alimentaire. Ce choc nous a ainsi rappelé qu’ il y a des paramètres de l’environnement international qu’on ne peux pas contrôler et qui peuvent à n’importe quel moment impacter notre sécurité alimentaire. De plus, la crise sanitaire a aussi perturbé les chaînes logistiques à l’international et a donc remis en débat la stabilité de ces systèmes. En cas de problème sur ces chaînes, comment pourra-t-on assurer l’approvisionnement régulier d’un pays comme le notre qui dépend des marchés extérieurs?  En 2021, le coût du fret maritime a été multiplié par trois, ce qui a engendré un renchérissement de nos importations toutes matières première confondues, en particulier celles agricoles. Le prix du blé est devenu plus cher, en raison de la cherté de son transport et c’était le cas également pour les intrants agricoles, les engrais, les  semences et autres, ce qui a aussi renchérit les coûts de la  production locale.  En 2022 est venue encore une nouvelle crise, à savoir celle liée à la guerre en Ukraine,sachant que les deux pays en conflit représentent un tiers des approvisionnements moniaux de blés, mais aussi de graines de soja et d’engrais ce qui a crée une pénurie sur le marché mondial de ces produits et leur prix a été multiplié par trois. Le prix moyen de la tonne de blé qu’était de 150 à 200 dollars avant a ainsi augmenté jusqu’à 400 dollars pour le blé tendre et à plus de 600 dollars pour le blé dur.  Une fois de plus, nous  nous sommes rendus compte que les prix peuvent flamber suite à des crises géopolitiques et qu’il peut y avoir beaucoup de difficultés à s’approvisionner, même quand on dispose de ressources financières suffisantes. Tout cela a rappelé aux pouvoirs publics que l’agriculture est un secteur de souveraineté sur lequel il faut miser encore plus de moyens pour orienter l’effort public vers les filières où nous sommes fragiles, notamment celles stratégiques comme le blé, le lait, le sucre et  l’huile.  Aussi, toute la politique agricole depuis 2020 a été réorientée vers la consolidation de la production nationale dans ces filières stratégiques, considérant que pour les reste, notamment les fruits et légumes, nous avons déjà réalisé une évolution assez robuste, même si cela reste relatif car il y a un effort permanent à faire pour mieux réguler et mieux accompagner les agriculteurs.

Beaucoup de mesures ont été donc prises pour booster ces filières, notamment une augmentation du prix d’achat du blé auprès des producteurs et la subvention des prix des engrais. Sauf que, même si ces incitations sont nécessaires, il y a tout de même un autre facteur qui surpasse tout cela, à savoir la maîtrise de la variable climatique, car la céréaliculture en Algérie est essentiellement pluviale et bénéficie très peu de l’irrigation d’appoint. Comme nous sommes en train de vivre un cycle de sécheresse sur ces trois dernières années, cette variabilité climatique devient le principal facteur limitant de la filière céréalière. Comment gérer cette contrainte  pour aider les agriculteurs à améliorer leur capacité d’adaptation face aux perturbations climatiques? C’est cela l’enjeu aujourd’hui et il faudrait toute une batterie de mesures pour y faire face à travers ce que j’appellerai un programme d’adaptation de l’agriculture nationale à la sécheresse. Un programme qui sera composé de plusieurs instruments tels que des assurances contre les sécheresses, des incitations à l’amélioration de l’itinéraire technique en intégrant de nouvelles pratiques pour améliorer la résilience des cultures, ainsi que des actions de recherches pour développer du matériel génétique qui s’adapte au stress hydriques.

Que pourraient apporter concrètement les investisseurs étrangers, notamment français, pour le secteur agricole algérien afin d’accélérer son développement et sa modernisation?

Les opérateurs français pourraient avoir un apport important dans pas mal de filières et de segments de filières. La France est un leader mondial dans la céréaliculture et c’est l’un des principaux exportateurs de blé tendre au monde. C’est aussi l’un de nos principaux fournisseurs. Nous pouvons surtout beaucoup apprendre auprès de ces opérateurs pour tout ce qui concerne l’encadrement et la mécanisation de la filière céréale, mais aussi tisser des relations avec eux pour accéder au matériel produit en France. Ils peuvent également avoir un apport en termes de   maîtrise de la génétique car, même si nous avons aujourd’hui une autosuffisance pour les semences de céréales, les Français ont des capacités de recherches qui leur permettent de développer régulièrement de nouvelles variétés adaptées aux conditions climatiques, chose que nous n’avons pas beaucoup en Algérie. Nous avons donc besoin de renforcer notre secteur semencier pour les céréales. En outre, dans la filière bovine où la France est l’une des principales sources de matériel génétique animal, il serait important de réfléchir à des projets de co-investissement pour créer ds pépinières de génisses en Algérie. Il y a donc vraiment des choses à faire tant en amant qu’en aval du secteur agricole, de même qu’ il y a également des opportunités pour tirer profit du développement de la logistique en France pour aider à placer des produits algériens sur les marchés européens.

Quelles sont, selon vous, les filières agricoles qui pourraient captiver les investisseurs étrangers pour lancer de potentiels  projets structurants en Algérie?

Je dirai qu’il y a deux catégories de filières où il serait opportun d’ attirer des investissements. La première est celles où  il y a des déficits de production, tel que les céréales, les viandes et autres. Il s’agirait d’attirer des investisseurs pour produire pour le marché national avec les nombreux atouts qu’offre l’Algérie, notamment des réserves foncières, des réserves d’eau, un marché intérieur porteur et des politique avantageuses de soutien au prix de l’énergie. L’autre catégorie concerne les filières à fort potentiel d’exportations, telles que celles des fruits et légumes où nous avons un avantage comparatif certain pour placer des quantités importantes à l’export,  mais à ce niveau là c’est vraiment aux opérateurs privés d’œuvrer à nouer des partenariats.

L’Algérie a décidé d’asseoir une nouvelle stratégie agricole qui fait la part belle à l’agriculture saharienne. Comment jugez-vous cette option?

L’agriculture saharienne contribue de plus en plus à la production agricole nationale. Sa part ne cesse d’augmenter et son principal atout est d’abord l’eau disponible en quantités importantes, mais aussi les terres, même si elles nécessitent beaucoup d’efforts pour leur mises en valeur. Tout cela rend l’agriculture saharienne porteuse, surtout à la faveur des l’effort fourni par l’État dans le domaine de l’infrastructure à travers les projets de routes et de raccordement des exploitations aux réseaux de gaz et d’électricité dans ces régions. Aussi, l’agriculture saharienne constitue aujourd’hui un pilier pour le secteur agricole national, mais la question qui reste posée et de savoir jusqu’à quel niveau on peut miser sur elle. A mon sens, cela ne peut être tranché qu’en maîtrisant les variables liées aux ressources hydriques, car même s’il y a un potentiel très important de réserves hydriques dans le sous-sol du sahara, il faut d’abord maîtriser leur exploitation pour les valoriser durablement car elle ne sont pas renouvelables.  

H. N. A.

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