L’Association de producteurs algériens de boissons (Apab), avait monté au créneau dès l’annonce par l’ancien gouvernement d’Ouyahia de la décision d’interdire l’importation des arômes, un ingrédient nécessaire pour la production des boissons jus et gazeuses. Pour certains producteurs de ces boissons, prendre une telle décision sans consulter et associer au préalable l’ensemble des acteurs concernés relève du mépris, voir du «sabotage» de leur activité. Un constat que parage sans ambages Lyamine Lerari, porte-parole du producteur de la mythique marque de boissons gazeuses «Hamoud Boualem» qui a fallait, dit-il, cesser son activité à cause de cette décision. Lyamine Lerari revient dans cette interview sur les dommages causés par cette décision qui semble être « une condamnation à la peine de mort » de son activité totalement injustifiée. Il a également fait le tour d’horizon du marché national des boissons gazeuses et jus ainsi que les projets de Hamoud Boualem à l’avenir.
Interview réalisée par Nait Amara Hacène
Comment se porte actuellement Hamoud Boualem ?
2018, a été sans conteste une année très difficile, en raison des nouvelles lois qui ont été imposées par le ministère du Commerce. Ils se sont rétractés certes, mais après avoir causé beaucoup de dommages à l’ensemble des producteurs de la filière. Nous avons toutefois réussi à tenir bon. Je ne dirai pas que nous sommes en train d’en souffrir, mais plutôt en train de remonter graduellement la pente.
A ce propos, pourriez-vous nous dire, avec plus de détails, quel était l’impact de l’interdiction de l’importation des arômes sur votre production ?
Cette mesure nous a causé beaucoup de torts. Nous avons été contraints de revoir à la baisse notre production, car le stock dont nous disposions n’était pas assez suffisant pour produire au même rythme qu’avant. Hamoud Boualem pourrait même se voir obligée de fermer ses portes à l’épuisement du stock disponible. Il faut savoir, pour mieux comprendre cette situation, que l’aromatisation est avant tout un savoir-faire et une technologie de pointe que les producteurs locaux ne disposent pas actuellement. Ils ne peuvent faire face à la demande des producteurs nationaux. Approvisionner l’ensemble des producteurs de boissons jus et gazeuses en quantités et en qualité d’arômes suffisantes n’est pas une sinécure. Nous avons essayé à maintes reprises de travailler avec eux, mais malheureusement, l’on se retrouve constamment face à des profils aromatiques complètement différents de ceux de Hamoud Boualem. Il nous a était donc impossible de changer nos fournisseurs dont certaines sont nos fournisseurs depuis 60 ans. Nous ne pouvons pas jouer avec notre marque et faillir à notre responsabilité de sauvegarder notre profil aromatique et protéger nos recettes qui étaient conçues ici en Algérie en collaboration avec des fournisseurs internationaux.
On exige également des producteurs de réduire le taux de sucre contenu dans les boissons. Cela nécessite-t-il d’importantes modifications dans les process de production ou juste une simple affaire de dosage ?
C’est un développement très complexe et très difficile à réaliser. La réduction du taux de sucre dans une boisson pourrait impliquer une altération de l’aromatisation, alors que celle-ci devrait rester identique, ce qui nécessite la réalisation d’importants travaux en amont. C’est ce que nous avons d’ailleurs fait à notre niveau, et nos boissons contiennent aujourd’hui beaucoup moins de sucre conformément à ce que prévoit la règlementation en vigueur.
Comment évaluez-vous le marché des boissons gazeuses et à combien estimez-vous son potentiel ?
Nous sommes face à un marché très fractionné, en état de saturation et caractérisé par une rude concurrence. Les gains des parts de marché sont aujourd’hui répartis sur un nombre assez élevé de producteurs, ce qui nous incite à trouver constamment les meilleurs moyens et méthodes pour essayer de nous positionner. Dieu merci, Hamoud Boualem dispose de réels avantages compétitifs : nos produits offrent un excellent rapport qualité-prix et notre marque jouit d’une très solide notoriété auprès des consommateurs algériens qui nous considèrent aujourd’hui comme un emblème national après 140 ans d’existence. Notre deuxième place en termes de parts de marché témoigne d’ailleurs de cette inébranlable confiance qu’ils nous ont constamment accordée.
Entre 2017 et 2018, la sous-filière des boissons gazeuses a enregistré une régression de 4% contre une progression de 2% pour la filière jus. Comment expliquez-vous cette tendance ?
Cela était dû à la multiplication d’acteurs sur le marché des sodas, et au foisonnement de nouveaux produits avec d’importantes campagnes de publicité et de promotion en vue d’inciter le consommateur à consommer encore plus. C’est finalement l’effet contraire qui s’est produit, car cette situation a fini par doper le marché et créer une bulle qui va surement exploser à un moment donné.
Il y a aussi cette tendance mondiale qui va vers les jus qui ont réussi, peu à peu, à grignoter des parts de marché au détriment des sodas. Ceci dit, la sous-filière boissons gazeuses n’est pas en régression, mais plutôt en décélération. C’est-à-dire, la croissance a fortement baissé, le marché n’est plus prometteur, car il s’approche de plus en plus de la saturation. D’ici deux à trois ans, il n’y aura plus de place pour un nouvel entrant et beaucoup de petits producteurs vont inévitablement disparaitre.
Justement, comment voyez-vous évoluer dans un marché en état de saturation ?
Hamoud Boualem dispose de plusieurs avantages liés à son histoire, sa présence, sa notoriété et à la qualité de ses produits. Nous avons constamment démontré que nous sommes toujours présents et que nous progressons en dépit d’une concurrence accrue des producteurs aussi bien locaux qu’étrangers. Ce ne sera pas facile, ça devient de plus en plus difficile, mais pas autant pour nous faire disparaitre. Au contraire, cette situation va nous booster et encourager à travailler plus efficacement. Nous y sommes et nous y restons.
Effectivement, Hamoud Boualem a réussi à préserver sa notoriété auprès du consommateur algérien malgré toute cette concurrence. Pourriez-vous nous expliquer qu’il est le secret de cette réussite ?
Cela s’explique par le travail colossal que nous sommes en train de mener tous les jours pour essayer de nous maintenir et se positionner sur ce marché et par notre notoriété et la qualité de nos produits qui constituent une différence significative entre une marque aussi bien ancrée dans l’esprit des consommateurs algériens avec un nouvel entrant.
Plusieurs actions ont été menées dont certaines par l’Apab contre les producteurs informels. Que préconisez-vous pour réduire l’impact de ces producteurs sur vos parts de marché ?
Il faut tout d’abord savoir que Hamoud Boualem n’est qu’un producteur de boissons, nous ne pouvons pas se substituer au ministère du Commerce qui a le devoir de protéger les producteurs qui travaillent dans la légalité. Mais comme les pouvoirs publics ne semblent pas être inquiétés, autant que nous, par ce phénomène, nous essayons de faire du lobbying à travers l’Apab auprès du gouvernement pour essayer de trouver les bonnes solutions à cet informel qui ne cesse de nous déranger et perturber.
Hamoud Boualem dispose de circuits de distribution en Europe et au Canada et compte également conquérir les pays du Golfe et d’Afrique. Mais vous considérez toujours le marché local comme une priorité absolue.
Nous penserons de manière sérieuse à l’export, le jour où nous seront largement capables d’aller au-delà de répondre aux besoins du marché national. Il faut savoir que nos exportations vers ces pays restent vraiment minimes, car les niveaux actuels de notre production ne permettent pas d’augmenter les volumes exportables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous sommes en train d’investir dans de nouvelles lignes de production, dont une va être lancée incessamment. Celle-ci va nous permettre de dégager un surplus pour l’export probablement vers des pays du Golf, la Mauritanie ou vers le Texas et la Californie aux Etats-Unis. Les négociations sont toujours en cours.
Quelles seront les nouveautés de Hamoud Boualem pour le mois de ramadan et la grande saison ?
Nous avons entamé des développements l’année dernière pour essayer d’offrir de nouveaux produits aux Algériens durant le mois de ramadan. Malheureusement, l’interdiction de l’importation des arômes a sérieusement freiné ce processus. Nous accusons un retard de six mois sur nos projets de développement, alors que ces nouveaux produits devraient être prêts bien avant le mois de ramadan. Nous sommes en train de faire toute une gymnastique pour être au rendez-vous, même si cela relève de l’impossible. Cela concerne la commercialisation sous format familial de nos nouveaux produits orang, agrume et mojito. Ce sont des jus gazéifiés avec des goûts exceptionnels dont le développement a nécessité trois années de travaux en collaboration avec des Belges, des Allemands, des Espagnols, des Français et des Hollandais. Nous avons choisi d’être assisté par des laboratoires classés dans le top 5 à l’échelle mondiale afin d’offrir un produit d’une qualité incontestable au consommateur algérien.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Nos projets consistent à développer de nouveaux produits avec de nouveaux parfums et de nouvelles recettes. Nous comptons également de poursuivre l’opération de réduction du taux de sucre dans nos boissons et grâce à notre département Recherche et Développement, nous allons être au-dessous même des normes européennes.
L’Algérie vit en ce moment au rythme d’une contestation populaire sans précédent. Cela a-t-il un impact sur votre activité ?
Nous n’avons pas, pour le moment, senti l’impact de cette conjoncture. Sauf que les craintes existent et l’incertitude quant à l’avenir est très présente. Nous espérons que l’impact n’aille pas au-delà de celui qui a résulté des dernières mesures prises en 2018.
H. N. A.