Installé à la tête du nouveau département ministériel du gouvernement Djerrad, en janvier 2020, le Ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, Sid Ahmed Ferroukhi compte réhabiliter ce secteur dans toutes ses composantes, afin de relever les défis qui se posent au développement des produits halieutiques. Sur la base d’une stratégie visant principalement la consolidation des acquis, le renforcement de la production mais aussi la sauvegarde de la ressource, un programme détaillé avec des objectifs précis, à court et moyen terme, a été élaboré et présenté en Conseil des ministres pour validation le mois de juin 2020 . Selon le Ministre, son application requiert l’implication de l’ensemble des professionnels du secteur et sa réussite nécessite de sortir des sentiers battus et d’amorcer une nouvelle vision, différente de celle qui a fait du métier de la pêche un sous-secteur peu valorisé. Le passage à une industrialisation de cette activité, comme le recommande d’ailleurs le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, est désormais de fil conducteur de la nouvelle stratégie expliquée et détaillée dans cet entretien accordé par M. Ferroukhi au magazine Indjazat.
Entretien réalisé par Hacène Nait Amara
Pouvez-vous nous donner brièvement, en guise de préambule, un état des lieux du secteur de la pêche et de l’aquaculture en Algérie ?
Dans le secteur de la pêche, il y a des agrégats qui sont qualitatifs et autres quantitatifs. Si on commence par ce qui est qualitatif, je dirais que ce secteur renferme une vielle activité économique, puisque le littorale faisait partie intégrante de l’économie algérienne existante. C’est une activité centrée essentiellement sur la pêche et la valorisation d’une ressource côtière et un certain nombre de zones du littorale vivent de cette activité. Cette activité n’est peut-être pas pesante sur l’ensemble de l’économie mais assez pesante au niveau locale dans certaines régions. Il faut dire aussi que le poisson reste un aliment de qualité, d’autant qu’on commence à avoir aujourd’hui des maladies liées à l’alimentation. Concernant le volet quantitatif, en comparaison à la période de l’Indépendance, tous les agrégats sont aujourd’hui multipliés par quarte. Nous avons actuellement une flottille de 5 800 navires toutes tailles confondues. La production tourne autour de 100 000 tonnes par an, avec 120 000 emplois directs et indirects.
Vous avez présenté, en juin dernier, au Conseil des ministres le plan d’action de votre secteur et les perspectives de son développement pour la période 2020-2024. Peut-on connaitre les principaux axes de ce plan et la stratégie adoptée par votre département pour le concrétiser ?
Dans le programme du Gouvernement, il y a cet élément important qui est le retour du secteur de la pêche comme département ministériel. Il ne s’agit pas seulement d’un ajustement institutionnel, en ce sens qu’il y a une nouvelle volonté qui s’affiche pour ce secteur. Déjà, nous avons annoncé le dépassement deux nouvelles frontières qui remettent en cause le modèle des années 2 000. Auparavant, nous pêchions sur les côtes, sans trop s’éloigner. Cela nous a amené à des limites en termes d’exploitation des ressources. C’est la raison pour laquelle nous avons aujourd’hui l’ambition de développer de nouvelles capacités en allant vers la pêche au large. Je dois rappeler, par ailleurs, que nous avons une superficie marine de 9 millions d’hectares qui comprend des zones marines désertiques ne disposant pas de ressources. L’idée serait alors d’utiliser ces superficies désertiques pour développer l’aquaculture marine durable et y installer des activités de production. Nous avons l’ambition de produire, à travers ces activités, pas moins de 50 000 tonnes de poissons par an en d’ici 2024 et atteindre, à long terme, une production de 100 000 tonnes/an. Ces activités nécessitent une superficie de 40 000 hectares, sur les 9 millions disponibles. L’autre activité que nous voulons exploiter est celle de l’aquaculture continentale, d’autant que nous avons déjà une aquaculture marine avec une soixantaine de fermes qui produisent et écoulent leur marchandise sur le marché. Nous nous sommes dit, par ailleurs, pourquoi ne pas inverser le mode de construction des filières car, jusqu’à présent, le modèle est avant tout dépendant d’importations d’intrants. Nous avons donc cette nouvelle ambition de fabriquer les cages flottantes pour l’élevage de poissons, les bateaux et les intrants. Nous sommes en train de voir ce qui est disponible en matières premières, notamment pour la construction navale et l’industrie de l’aquaculture dans le but de lancer une capacité d’intégration nationale. Lorsqu’on regarde les chiffres, on remarque qu’il y a tout de même une évolution. Rien que pour l’industrie navale, nous avons construit, entre les années 2 000 et 2020 pas moins de 1 500 bateaux, tout type confondus par des moyens nationaux. Il existe un savoir-faire dans l’industrie du chantier de la réparation navale à mieux exploiter à l’avenir. Quant à la gouvernance du secteur lui-même, nous travaillons sur un certain nombre de questions pour que le secteur puisse assurer un accompagnement pour l’ensemble de la chaîne de valeur des produits halieutiques.
Vous avez déclaré, récemment, que le secteur doit impérativement valoriser la pêche au large pour consolider la production et les ressources du pays en produits de mer. Comment procéder pour réaliser cet objectif sachant que nos pêcheurs ne possèdent pas encore les moyens d’aller pêcher en haute mer ?
Cela se construit. Il faut construire le savoir-faire, les outils et lancer cela dans un cadre de partenariat privé-privé incitatif et clair. Aujourd’hui, nous arrivons à la limite de l’économie halieutique conventionnelle qui a tout le temps augmenté les capacités d’exploitation de la ressource. Sur les dix ou quinze prochaines années, on aura moins de ressources naturelles et il faudrait qu’on exploite le non-conventionnel et les ressources qu’on n’a pas l’habitude d’exploiter. Et l’aquaculture dans ces différents types est un des moyens non conventionnels.
Justement, quel devrait être l’apport de l’activité aquacole, de l’élevage de poisson en eau de mer ou eau douce, dans l’amélioration de la production ?
Elle devrait représenter environ 50 000 tonnes/an, sur les 166 000 tonnes qu’on ambitionne d’atteindre à l’horizon 2024. Nous sommes partis sur une évaluation plus ou moins prudente. C’est réalisable et important car, aujourd’hui, on a un déséquilibre entre l’offre et la demande, avec un volume d’importation entre 30 000 et 40 000 tonnes par an. Ce déséquilibre a aussi un effet sur les prix et s’est accentué avec l’évolution du modèle de consommation de plus en plus urbanisé et de plus en plus « désaisonnalisé ».
Combien de projets comptabilisez-vous dans cette activité ?
Il ya actuellement 72 projets en production dont 20 projets en aquaculture marine qui font l’élevage de la daurade et du loup de mer et qui sont principalement à l’ouest du pays, Tipaza, Chlef, Mostaganem, Ain Temouchent et Tlemcen. Il ya aussi 18 projet d’élevage de moules et 34 projet d’aquaculture en eau douce. Au niveau des barrages, il y a 70 concessionnaires et une trentaine de projets qui sont en phase de finalisation, en plus de 200 projets qui sont en phase d’étude.
Peut-on connaitre globalement les capacités de production dans cette filière ?
Les projets en exploitation ont une capacité de production moyenne de 500 tonnes/an. Ces capacités sont en évolution, à l’exemple de certaines de projets qui disposent d’une installation de 24 cages flottantes mais devrait passer bientôt à 32 cages. Pour la pêche maritime, nous avons réalisé en 2019 105 000 tonnes et 4 500 tonnes en aquaculture. L’objectif est d’atteindre, horizons 2024, un volume de 50 000 tonnes en aquaculture. Tout cela contribuera bien entendu à augmenter l’offre actuelle, à substituer ce qui est importé, mais aussi à améliorer la consommation des citoyens, avec bien entendu, une incidence positive sur les prix.
Qu’en est-il de la situation socioprofessionnelle des pêcheurs ? Ces derniers réclament toujours un statut..
Cette revendication est importante en tant qu’indicateur, en ce sens qu’ils réclament de meilleures conditions socioprofessionnelles. Souvent, on transforme cette angoisse de l’avenir en un seul mot : le statut. Mais que signifie ce terme ? Cependant, derrière cette revendication, il y a plusieurs dimensions à relever. Quand les pêcheurs parlent de statut, ils entendent par là tout ce qui est en rapport avec la retraite, la protection sociale et ce qui peut les protéger individuellement. Cette dimension, nous l’avons prise en charge vue son importance et la stabilité qu’elle procure aux gens de la profession. Aujourd’hui, les pêcheurs cotisent à la CNAS, annuellement, avec des taux préalables, soit 12%. L’autre dimension concerne les rapports qu’ils ont entre eux, soit entre pêcheurs et armateurs. Il y a des relations de travail qui doivent être normalisées pour se protéger contre d’éventuels comportements contraires à la loi et l’éthique professionnelle. Cependant, cette régulation qu’ils réclament ne peut être qu’accompagnatrice de notre part car il s’agit du domaine du privé-privé. Les pêcheurs réclament aussi plus de considération dans le plan social, c’est aussi notre rôle de constituer avec eux et de mettre en valeur les métiers qui ne sont pas assez considérés par la société.
Où en sont les préparatifs de la prochaine campagne de pêche au thon rouge ?
Nous avons sur ce sujet une démarche fondée sur trois éléments. Le premier concerne l’évaluation faite des campagnes précédentes qui a révélé des points positifs mais aussi des insuffisances. C’est la raison pour laquelle nous voulons passer à une nouvelle stratégie qui sera appliquée progressivement. Le deuxième élément concerne les rencontres organisées avec les professionnels pour les impliquer dans cette stratégie et éviter qu’on soit trop normatifs. A partir de ce diagnostic partagé, nous allons lancer la nouvelle campagne de pêche au thon rouge qui va s’appuyer sur une meilleure organisation, une meilleure maitrise. Le plus important, c’est que nous voulons construire l’amont et l’aval localement et ne pas se contenter de capturer le thon et le remettre à d’autres segments de filières va être réalisé. Nous voulons ainsi aller vers l’engraissement et la transformation. Certes, nous avons eu dans ce filière une évolution quantitative, mais il faudrait maintenant aller vers une évolution qualitative, en mettant en place toute la réglementation nécessaire à cette activité.
H. N. A.