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Corinne Trommsdorff, membre de l’association IWA : «Il n’y a aucun modèle de gestion qu’on peut recopier tel quel»

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Corinne Trommsdorff a géré le programme « Cities of the Future » à l’association International Water Association (IWA) pendant les 5 dernières années. Elle a supervisé le développement d’une plate-forme de connaissances sur les services publics à faible consommation d’énergie et à faible émission de carbone, ainsi que des travaux portant sur l’utilisation intelligente de l’eau dans les villes, un cadre devant permettre la transition des villes vers un cycle intégré de l’eau urbaine, avec des synergies intersectorielles pour améliorer la résilience, la récupération des ressources et l’habitabilité. Elle affirme, dans cet entretien, qu’en raison des changements climatiques et de leur impact sur les ressources hydriques, les villes sont appelées à mettre en place des plans de transition vers une gestion plus durable de leurs ressources, pour ne pas se retrouver dans quelques années, en situation de crise.

Entretien réalisé par Hacène Nait Amara

Pouvez-vous nous présenter ce qu’est l’association IWA ?
L’IWA est une association internationale de l’eau qui regroupe les professionnels de l’eau de beaucoup de pays du monde. Son but est de favoriser l’échange de connaissances entre ces professionnels à travers le monde entier. Je suis venue en Algérie en tant que membre de cette association, mais aussi en tant que responsable de la société « Water Cities » qui œuvre à diffuser un message, à travers les villes, les incitant à amorcer une transition vers des villes de plus en plus « Eau-responsables ».

Quel constat faites-vous aujourd’hui de la situation hydrique dans le monde ?
Concernant les villes, beaucoup parmi elles n’ont pas encore pris en compte la mesure de l’impact du changement climatique sur leur système et doivent d’une manière relativement urgente mettre en place des plans de transition vers une gestion plus durable de leurs ressources, et ce, pour ne pas se retrouver en situation de crise dans quelques années.

Qu’en est-il de l’Algérie ?
Ce que j’ai pu observer, durant ma courte visite, c’est que beaucoup de choses se font notamment en ce qui concerne la diversification de la ressource, qui englobe l’eau du dessalement, l’eau souterraine et l’eau de surface. Cela va beaucoup aider le pays à être plus résiliant face aux changements climatiques. En revanche, il y a une consommation d’eau par personne très importante et cela est visible à travers la quantité d’eau prise dans le milieu naturel pour approvisionner la population.

Quelle solution préconisez-vous justement pour une gestion plus durable des ressources ?
Il y a un ensemble de solutions. Mais le plus important est de faire en sorte que le consommateur réduise la quantité d’eau qu’il consomme et contribue à cet objectif d’être en équilibre avec le milieu naturel.
On peut aussi penser à ré-introduire des pratiques ancestrales, comme la récupération d’eau de pluie dans chaque bâtiment pour des usages non-potable. Cette pratique a aussi le bénéfice de réduire l’impact de ruissellement et d’inondation des lors de pluies intenses. Lors de ma visite de la Kasbah, j’ai pu observer que chaque maison était jadis équipée d’un puit d’eau potable, et d’un reservoir d’eau de pluie…

Par quel moyen peut-on amener l’usager à diminuer sa consommation d’eau ?
Cela passe par des campagnes de communication où on explique, en toute transparence, où en sont les réserves d’eau actuellement et comment évoluent-elles. L’autre moyen d’action concerne les tarifs à travers une démonstration de la valeur véritable de l’eau et son coût réel. Il faudrait aussi reconnecter les citoyens à la nature, en ce sens que les gens qui habitent en ville sont souvent déconnectés de ce milieu et ne se rendent plus compte de ce qu’il peut leur donner. Il faut donc remettre de l’eau visible en ville et y mettre plus de nature pour que les gens aient des indicateurs et se rendent compte où en est le milieu naturel en observant directement les plantes et l’eau présentes dans la ville.

L’accès à l’eau est parfois disparate entre les villes d’un même pays. Existe-t-il, dans ce cas, une certaine solidarité entre les villes ?
Je ne sais pas si cela se fait en Algérie, mais dans d’autres pays on retrouve cette solidarité à travers le tarif appliqué pour l’eau qui peut être le même dans l’ensemble des villes, alors que le coût d’accès est différent selon les endroits.

De par votre connaissance des modèles de gestion appliqués dans plusieurs pays du monde, quel serait selon vous le modèle le plus adapté à la situation de l’Algérie ?
Je pense qu’on a beaucoup à apprendre les uns des autres et de ce qui se passe dans d’autres villes. Il n’y a aucun modèle de gestion qu’on peut recopier tel quel, en ce sens qu’il y a des solutions adaptées à la situation locale à développer par les acteurs locaux. Et pour que les solutions fonctionnent, il faut qu’elles viennent du cœur des gens qui sont sur place et qui font l’eau dans la ville. Même si un modèle fonctionne très bien ailleurs, il y a de forte chance qu’il ne fonctionne pas dans une autre ville s’il n’est pas adapté aux conditions locales et aux acteurs locaux.

Quel serait l’apport des nouvelles technologies dans la gestion de l’eau dans la ville ?
La solution des données est essentielle et partout dans le monde l’on applique déjà le « digital water ». Comme dans d’autres secteurs, le monde de l’eau a beaucoup à gagner à mieux comprendre les enjeux auxquels il doit faire face en ayant de meilleures données. Les données permettent de visualiser le problème et du coup d’en prendre conscience au niveau politique. Les données permettent ensuite d’analyser intelligemment le problème pour trouver des solutions. Kofi Annan (ancien Secrétaire Général de l’ONU) disait il y a quelques années « you can’t fix what you don’t see » – On ne peut pas réparer si on ne sait pas où est le problème.

Beaucoup d’experts qui s’inquiètent de la situation actuelle font des prévisions alarmistes. Etes-vous optimistes ou pessimistes quant à l’avenir de l’eau dans le monde ?
Personnellement, je suis une grande optimiste et je crois dans la capacité de l’être humain à réagir et à prendre des bonnes actions pour que l’humanité s’adapte à sa situation.

Un mot sur votre société Water Cities » ?
La société « Water Cities » a pour objectif d’aider les acteurs locaux au sein des villes à mieux travailler ensemble et à s’approprier les Principes IWA pour les Territoires Eau-Responsables pour en faire une vision locale, déclinée ensuite en plan d’action. Nous proposons pour cela des ateliers collaboratifs pour mettre autour de la table de différents acteurs qui ne travailleraient pas naturellement ensemble. L’idée c’est de passer à une gestion de la ville intégrée où les urbanistes et les gestionnaires de l’eau, de l’énergie et autres services arrivent à se saisir des synergies qui rendront leur système plus efficace.
H. N. A.

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